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Ce qui semble nouveau, c’est d’abord ce qu’on a oublié ou ignoré!

glacier qui fond à cause des changement climatique
Photo: Istock/sarkophoto
Dominique Tapsoba - Ph. D. chercheur en géostatistique

LETTRE OUVERTE – Le dérèglement climatique est une réalité qui s’impose de plus en plus dans nos vies quotidiennes et qui menace sérieusement notre avenir prochain et lointain.

Il a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques depuis de nombreuses années sans avoir eu un véritable écho dans nos vies et surtout auprès des pouvoirs publics. Je ne vais pas énumérer ici ces travaux. Juste une petite piqûre de rappel sur ma modeste contribution, il y a quelques années, à un article publié dans l’une des revues scientifiques reconnues mondialement dans la science du climat Rainfall Variability in West Africa during the Years 1950–90 in: Journal of Climate Volume 15 Issue 2 (2002). Mais, pourquoi la référence à cet article? Ce n’est pas le seul qui pourrait être cité. La première raison est que les résultats publiés dans cet article puisent dans mon travail de recherche doctoral. Ensuite, parce que ce choix partial est en rapport avec un échange que j’ai eu avec mon grand-père de 90 ans lors d’un voyage au Burkina Faso en 1995. Donc inspiré aussi d’une expérience personnelle. Je rapporte ici, le plus fidèlement possible, la substance de cet échange: «Ton père m’a dit que tu travailles sur les pluies africaines là-bas en France, mais mon petit-fils, tu sais, il ne pleut plus comme avant ici. À la fin de l’hivernage (saison des pluies), la quantité des récoltes dans nos greniers apparaît comme une insulte au regard de tous les efforts que nous avons consentis. Nous pensons ici qu’il faut que nous changions nos dates de semences, car les dates de début et de fin des saisons ne sont plus comme dans le passé.»

En termes clairs, il pensait déjà à la mise en place de quelques techniques d’adaptation semencière en rapport avec le déficit pluviométrique amorcé depuis les années 1970 dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. Déficit que je voyais dans les analyses statistiques des données qui montraient bien une rupture de stationnarité autour des années 1970. Cet échange m’a beaucoup intéressé et bouleversé en même temps. Eh bien oui, ce que mon grand-père m’a dit se retrouvait dans les résultats statistiques des données pluviométriques exploitées dans ma thèse qui figurent dans cette publication citée plus haut. Ces résultats seront confirmés par la suite dans une deuxième publication dans laquelle l’information a priori du type de celle fournie par mon grand-père est prise en compte par l’approche Bayésienne Bayesian Rainfall Variability Analysis in West Africa along Cross Sections in Space–Time Grid Boxes in: Journal of Climate Volume 17 Issue 5 (2004). Cette approche permet entre autres d’intégrer des croyances personnelles concernant un événement et fournit un baromètre pour quantifier le degré de crédibilité d’un résultat obtenu.

Depuis de nombreuses années, j’échange avec mes grands-parents adoptifs québécois qui savent que je travaille sur la neige. Ils ne cessent de me répéter ceci : «Dominique, il ne tombe plus autant de neige pendant l’hiver que dans le passé. Il pleut de plus en plus en hiver alors que durant notre jeune âge, il ne tombait que de la neige.» Je ne vais pas entrer dans une exposition de la complexité des conséquences sur la vie sociale et économique de ce changement de configuration climatique au Québec. En Afrique, en tout cas, c’est la multiplication des sécheresses, des famines et des migrations, etc… Les milliers de personnes qui quittent leurs pays pour aller ailleurs sont motivées par des raisons sécuritaires qui elles-mêmes sont reliées à des questions alimentaires, donc principalement climatiques.

La collectivité des hommes, les pouvoirs publics, les individus n’ont vraiment pas mesuré ou compris sérieusement la gravité du problème et les impacts potentiels de ce dérèglement climatique mentionné dans de nombreux travaux scientifiques antérieurs. Nous commençons à en payer le prix depuis quelque temps et ce prix sera encore plus élevé dans les prochaines années.

Écoutons la voix de la sagesse, intégrons-la dans nos travaux et partageons cette connaissance séculaire ensemble. Ces sages africains, québécois et autres dans le monde, n’ont peut-être pas eu la chance d’aller à l’école ou aussi longtemps comme nous, mais ils sont et demeurent les fidèles observateurs du temps et du climat. Ne dit-on pas que le bon sens est le fondement de la vie? Rappelons ce qu’est la substance de la science. C’est l’observation guidée par le souci de raconter fidèlement ce qu’on a observé avec honnêteté et bien noté, car la mémoire comme on le dit, est une faculté qui oublie et ensuite peut-être passer à la création. Comme dans toute démarche scientifique, il y a trois étapes fondamentales. L’observation, le diagnostic et la thérapie. Si la première est mal faite, on arrive à un mauvais diagnostic et on préconise une thérapie inappropriée qui se révèlera inefficace et pourrait entraîner de graves conséquences.

Travaillons à limiter les effets de ce dérèglement climatique dès maintenant pour nous et surtout pour les générations futures. Comme ce processus est difficilement réversible, il faut en limiter la péjoration très rapidement et… dès demain matin, même si nous allons encore en subir les conséquences pendant de nombreuses années. En effet, il va falloir quelques décennies (sans être pessimiste) pour que l’excès de CO2 que nous avons émis dans l’atmosphère ne s’épure.

Est-ce que ce dérèglement climatique a été signalé depuis de nombreuses années? OUI. Est-ce que des communautés humaines dans le monde en ont déjà pris connaissance et ont réfléchi aux moyens à mettre en œuvre pour s’y adapter? OUI. D’où le titre de ma publication: «ce qui semble nouveau, c’est d’abord ce qu’on a oublié ou ignoré».

2 Sous le paradigme bayésien, les paramètres des modèles statistiques sont certes inconnus mais aussi incertains. Il y a donc un sens à décrire cette incertitude par une distribution de probabilités dite a priori qui reflète en fait une expertise – par exemple celle de mon grand-père – et de la mettre à jour via la règle de Bayes en intégrant les observations disponibles, ici les séries de données pluviométriques. Cette mise à jour donne la distribution a posteriori qui est le socle de toute aide à la décision – par exemple modifier la période des semis.

Aussi, ce qui est décevant et incompréhensible, c’est l’absence du sentiment d’urgence malgré les manifestations grandissantes des problèmes environnementaux et toutes les recherches qui y sont consacrées. Certains préfèrent ignorer car, pour eux, le changement de cap nécessaire est insupportable.

Outre les nombreuses recommandations du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui ne sont pas réellement prises en compte, la plupart des travaux de recherches et rapports scientifiques reliés au changement climatique dorment dans les tiroirs. Bien souvent, ils ne sont même pas lus, alors qu’ils pourraient sauver le malade qui est presqu’à l’agonie. Exhumer ces travaux pourraient nous enrichir, certainement. On ne peut pas continuer à réinventer la roue, car cela peut entraîner des investissements humains et financiers inutiles surtout qu’on s’inscrit souvent dans une politique d’économie des dépenses avec un objectif de performance. Il faudrait peut-être mettre en place un comité scientifique indépendant pour suivre l’application des recommandations. Par contre, on voit bien avec la COP26, que la volonté politique d’agir en profondeur est difficile à obtenir de certains pays qui préfèrent protéger leurs intérêts financiers et énergétiques plutôt que d’améliorer l’environnement pour le bien de tous.

J’espère que les rapports, publications et recommandations faites par les chercheurs du climat dans le monde seront mis en pratique, notamment ceux du consortium Ouranos, l’une de nos boussoles en matière de changement climatique au Québec et au Canada et au sein duquel œuvrent plusieurs institutions fédérales et gouvernementales publiques et privées.

Arrêtons de psalmodier hypocritement les recommandations du GIEC et des chercheurs impliqués dans le consortium Ouranos comme des sourates et mettons-les en application aussi bien individuellement que collectivement. En d’autres termes les options de solutions qui s’offrent au monde pour faire face au problème du dérèglement climatique ne sont certainement pas celles du perroquet : « changement climatique », « changement climatique », « changement climatique… ». Des solutions existent, agissons avec détermination sur des objectifs ambitieux, individuels et globaux.

Je terminerai par une pensée d’Aminata Traoré grande écrivaine et poétesse africaine: «l’Homme doit assumer sa responsabilité quant aux liens – tantôt visibles, tantôt invisibles – dont l’ensemble confère un sens à la vie.»

Dominique Tapsoba
Ph. D. chercheur en géostatistique

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