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Ricky Gervais et les humoristes qui adorent être cancellés

J’ai hésité à revenir sur le plus récent spécial Netflix de Ricky Gervais, qui alimente une fois de plus l’idée que l’humour soit un champ miné par des wokes prêts à censurer quiconque a la moindre idée offensante. Pourquoi donner de l’attention à celui qui en cherche autant? Je lis partout dans les journaux que SuperNature, le spectacle de Gervais, est à son tour, après celui de David Chappelle, jugé transphobe. J’ai cherché les critiques, et mis à part quelques tweets et textes de publications spécialisées, j’ai surtout vu des articles blâmant les jeunes militants sensibles pour leur manque de sens de l’humour.

Va-t-on encore jouer dans ce film où un humoriste se fait passer pour une victime de la rectitude politique tout en mettant au défi les courageux spectateurs qui ne sont pas des mauviettes facilement froissables d’acheter des billets? Ce genre de marketing fonctionne. «J’adore être cancellé» a ironisé Dave Chappelle devant une salle remplie à pleine capacité après le «scandale» de son spécial Netflix contenant homophobie, transphobie, et surtout une bonne dose d’amertume. Guy Nantel a lui aussi admis que la controverse entourant ses blagues aux dépens d’une survivante d’agression sexuelle avait fait de la publicité pour son spectacle et gonflé ses ventes. 

Il y a bien sûr des gens qui accusent Ricky Gervais de transphobie. J’imagine que quand on donne un bon coup de pied dans un nid de guêpes, on s’attend à être piqué. C’est exactement ce que fait l’humoriste. Après avoir dit qu’il s’identifie à une poussette, il précise d’ailleurs: «Je vais laisser cette blague juste parce que ça offense les gens.» Le but de l’exercice est clair. La posture de l’humoriste l’est moins. Ceux dont on se moque, au-delà des personnes marginalisées dans le spectacle (nains, Africains, lesbiennes, personnes trans, etc.), sont ceux qui s’offensent. Permettez-moi à mon tour de me moquer de ceux qui s’offensent que l’on s’offense après avoir cherché sans subtilité à offenser.

L’humour évolue. Comme plusieurs milléniaux, mon adolescence a été habitée par celui des Rock et Belles Oreilles et Piment fort, où sévissaient des humoristes rivalisant d’imagination pour se moquer des boucs émissaires de l’époque: les gais, les gros et… Lorraine Pagé. Ces émissions me faisaient autant rire qu’elles martelaient dans mon imaginaire des stéréotypes propres à l’époque.

L’humour s’inscrit en amont et en aval de l’air du temps: il s’en inspire tout en dictant ce qui est drôle. Et jusqu’à ce que Daniel Pinard nous sensibilise collectivement à la marque que des blagues homophobes pouvaient laisser, par exemple, sur un jeune homosexuel, on s’en donnait à cœur joie dans l’humiliation de ces marginaux qui n’avaient rien demandé. Comme jeune lesbienne, j’intériorisais aussi, bien inconsciemment, toute la honte que suscitaient ces plaisanteries que l’on croyait bien anodines.

Si je répète souvent cette histoire, c’est qu’elle illustre magnifiquement comment l’humour évolue. Un jour, rire des homosexuels est la chose la plus hilarante qui soit, puis, à mesure que l’homosexualité est acceptée, normalisée, ce n’est plus tout à fait ça. À l’époque où il nous faisait prendre conscience que les blagues homophobes pouvaient avoir un impact dramatique sur certaines personnes, Daniel Pinard passait pour le rabat-joie qui allait tuer l’humour. Aujourd’hui, personne ne remet en question le fait qu’une joke de perche dans le derrière pour illustrer les Jeux olympiques gais, c’est pas vraiment drôle. On est passé à autre chose.

L’humour évolue. Ricky Gervais le dit lui-même. Son spectacle en parle. Et il aura beau dire qu’il ne rit pas de ça, mais plutôt de ceux qui rient de ça, je le vois comme une transition. Les enjeux trans – parmi d’autres – offrent une occasion renouvelée pour certains humoristes de montrer qu’ils sont dépassés par l’époque dans laquelle ils évoluent – ou stagnent, le cas échéant. Ça en dit autant sur eux que sur cette société qui continue sur sa lancée, qui absorbe de nouvelles réalités, qui s’émeut pour d’autres causes, et dont les ressorts comiques se déplacent inéluctablement, laissant derrière les vieilles blagues de blondes connes et de piscines hors terre. Et après avoir vu l’action de Netflix plonger dans les derniers mois, je pense que ça va prendre plus que des jokes de piscines hors terre pour remonter la pente.

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