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Être migrante et enceinte… sans couverture médicale

santé mentale
Photo: xijian - iStock

Il y avait environ 50 000 personnes sans aucune couverture d’assurance médicale en raison de leur statut migratoire au Québec en 2020, selon l’Institut universitaire SHERPA. Parmi celles-ci, des milliers de femmes n’ont pas accès aux soins liés à la grossesse et à l’accouchement ou aux autres services essentiels de santé sexuelle et reproductive dont elles ont besoin.

C’est le cas de Tanya*, mère de famille trentenaire arrivée au Québec en 2019, qui a subi de la violence conjugale de la part de son premier mari pendant sa grossesse.

Si elle s’épanouit aujourd’hui aux côtés de ses enfants et de son nouveau conjoint, c’est grâce au soutien des organismes qui lui sont venus en aide lorsqu’elle a eu besoin de services sociaux et de soins gynécologiques.

«J’étais mariée avec un citoyen canadien, mais je n’avais droit à aucune protection, car j’étais en processus de parrainage et je n’avais pas encore ma résidence», explique-t-elle.

Tanya a quitté le père de son premier enfant six mois après son accouchement. N’ayant pas de famille au Québec ni de moyens financiers pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille, elle est retournée vivre avec lui. Mais lorsqu’il a récidivé alors qu’elle était enceinte à nouveau, de quelques semaines, elle a décidé de partir.

Mon mari ne voulait pas qu’on utilise de moyen de contraception. J’insistais, mais il me disait que ça irait.

Tanya*, mère de famille immigrante

Tanya a pu trouver un refuge temporaire pour elle et sa fille dans un foyer pour femmes victimes de violence conjugale à Montréal. «J’étais chanceuse d’avoir le soutien d’une travailleuse sociale de Médecins du monde qui m’a orientée dans mes démarches pour obtenir une pension alimentaire pour mon enfant et qui m’a aidée à trouver un logement d’urgence. Mais j’ai dû interrompre ma grossesse à 12 semaines, étant donné la précarité de ma situation.»

La demande de parrainage de Tanya est tombée à l’eau après sa séparation et elle s’est retrouvée sans statut, avant de pouvoir obtenir un permis de séjour temporaire.

Un effet domino

Caroline Blais, travailleuse sociale chez Médecins du monde, déplore que le choix de nombreuses femmes à statut précaire de poursuivre ou d’interrompre leur grossesse soit lié à leur capacité d’assumer les coûts d’un suivi obstétrique, d’un accouchement et des soins post-partum, qui peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars. «Le fait de ne pas assurer le suivi de leur grossesse a des conséquences sur le système de santé, et ça pousse les femmes à faire des choix qu’elles ne veulent pas faire nécessairement.»

«Une partie de mon travail consiste à évaluer la situation de la personne pour voir si elle pourrait avoir droit à une couverture médicale, comme celle du Programme fédéral de santé intérimaire pour les demandeurs d’asile, par exemple. Si ce n’est pas le cas, je vais la mettre en lien avec des personnes ou organismes prêts à l’aider, et l’accompagner dans la décision qu’elle va prendre», expose Mme Blais.

Marie-Amélie St-Pierre, directrice générale du Centre de santé des femmes de Montréal, indique pour sa part que l’organisme reçoit en moyenne une à deux demandes par semaine de femmes incapables d’assumer les frais liés à l’interruption de leur grossesse.

Dans le cas des avortements, «ça a un effet de domino de ne pas se préoccuper de la situation dès le départ et de laisser la femme qui a déjà une précarité financière dans une situation non désirée», fait valoir la gestionnaire de l’organisme communautaire. «C’est déjà difficile à vivre pour elles, et on ajoute en plus une pression financière», déplore-t-elle.

Mme St-Pierre déplore que beaucoup de femmes doivent se tourner vers le choix d’interrompre leur grossesse par intervention procédurale, à défaut d’avoir les moyens de débourser 350 $ à la pharmacie pour l’achat du médicament et d’attendre d’obtenir le remboursement à même le fonds de l’organisme.

«Si elles sont capables de payer les 250 $ du coût minimum pour une interruption volontaire de grossesse [par intervention procédurale], nous allons couvrir le reste à même notre fonds [d’urgence], sinon, on va couvrir la totalité.»

Les inégalités de genre

L’argent est aussi une barrière pour la contraception, souligne Mme St-Pierre. «Les médecins vont souvent suggérer un moyen de contraception après un avortement, mais beaucoup de femmes n’ont pas les moyens de payer 275 $ pour se faire poser un stérilet ou d’avoir un budget mensuel pour acheter la pilule contraceptive.»

Caroline Blais déplore que le poids de la contraception et de la planification familiale repose presque entièrement sur les femmes.

Il y a beaucoup plus de démarches médicales et de dépenses associées au fait d’avoir un utérus, mais beaucoup de femmes n’ont pas nécessairement les moyens financiers pour les couvrir.

Caroline Blais, travailleuse sociale chez Médecins du monde

«Ça ajoute aux inégalités de genre, dit Mme Blais. La santé sexuelle et reproductive de toutes les femmes devrait concerner la santé publique.»

Besoins grandissants et sous-financement

Chaque année, près de 300 femmes migrantes n’ayant pas de couverture de santé ni les moyens de payer des soins se présentent à la Clinique pour les personnes migrantes à statut précaire de Médecins du monde à Montréal. Ses ressources étant limitées, l’organisme dépend de la bonne volonté des soignants prêts à offrir leurs services gratuitement aux femmes sans couverture médicale.

À titre d’exemple, sur les 288 femmes enceintes reçues par la clinique en 2018-2019, 61 % étaient en attente de la régularisation de leur statut migratoire ou possédaient un statut ne leur donnant pas accès aux soins (visa étudiant, parrainage, demande humanitaire, etc.) et 34 % n’avaient pas de statut.

Tout comme Médecins du monde, le Centre de santé des femmes souligne le besoin d’accroître le fonds alloué à la rémunération des médecins prestataires de services, aux médicaments et aux autres services rendus aux femmes en situation de vulnérabilité. Ce fonds dépend entièrement des dons amassés par l’organisme.

Notre budget est d’environ 30 000 $ cette année, comparativement à 18 000 $ il y a cinq ans, mais en ce qui concerne notre année fiscale [se terminant le 31 mars], on a déjà atteint 100% de l’utilisation du budget de l’année dernière.

Marie-Amélie St-Pierre, directrice générale du Centre de santé des femmes de Montréal

«C’est très difficile de dire non à une femme lorsqu’elle se présente chez nous, mais pour répondre aux besoins actuels, le fonds devrait doubler, donc être de 60 000 $ au minimum, pour pouvoir couvrir aussi les moyens de contraception», renchérit-elle.

Un plaidoyer sans réponse

Médecins du monde et une coalition d’organisations et de professionnels du droit, de l’immigration, de la santé et des services sociaux a déposé en mars 2022 un mémoire à l’attention du comité de travail dirigé par la RAMQ, recommandant au gouvernement provincial d’agir afin de garantir la couverture des régimes publics d’assurance maladie et médicaments à toutes les femmes vivant au Québec, en ce qui concerne les soins liés à la grossesse et tout autre service essentiel de santé sexuelle et reproductive.

Le dépôt de ce mémoire s’inscrit dans la continuité du projet de loi 83, qui donne accès à une couverture par le régime public d’assurance maladie et médicaments à tous les enfants du Québec, sans égard au statut migratoire de leurs parents.

«On espère qu’il y aura un processus similaire pour les femmes à statut précaire. La situation par rapport à l’avortement nous préoccupe particulièrement, mais il y a aussi la périnatalité, la planification familiale, la prévention, le dépistage et le traitement des maladies transmissibles sexuellement et par le sang, et les cancers de l’appareil reproductif. On espère que la rationalité va primer et qu’une décision bénéfique pour tout le monde sera prise», mentionne Chloé Cébron, conseillère principale au plaidoyer chez Médecins du monde Canada.

Marie-Amélie St-Pierre soulève quant à elle une certaine aberration du système: «L’enfant qui naît est admis dans le programme de la loi 83, mais la mère n’est pas couverte. Pourtant, les besoins en santé gynécologique d’une femme qui vient d’accoucher sont énormes. On doit s’assurer qu’elles puissent avoir un suivi de leur santé, elles aussi. C’est important pour nous que toutes les femmes puissent avoir les mêmes choix.»

*Nom fictif afin de protéger l’identité de la mère de famille.

Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.

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