Un féminisme qui fait toujours face à plusieurs défis
À la fin du mois de février, la ministre québécoise responsable de la Condition féminine, Martine Biron, et la Coalition avenir Québec (CAQ) rejetaient le concept de féminisme intersectionnel, allant ainsi dans une direction contraire à celle des partis d’opposition. Dans la métropole, c’est pourtant cette approche qui est appliquée. Mais le féminisme intersectionnel, ça veut dire quoi?
Selon l’Encyclopédie canadienne, l’intersectionnalité «est une théorie féministe qui analyse les différentes formes d’oppression et les hiérarchies de pouvoir. En plus du genre, elle prend en compte plusieurs facteurs sociodémographiques et elle examine comment ces facteurs peuvent interagir de façon simultanée. Cette théorie permet de mettre en évidence les rapports de pouvoir qui existent entre différents groupes.»
«Dans les mouvements qui réfléchissent à ces questions, il y a un consensus, affirmait la députée solidaire Ruba Ghazal à ce sujet en février. C’est vraiment de base.» Une vision qui est partagée par Projet Montréal, qui vise à «implanter l’Analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) à la grandeur de la Ville, pour une meilleure égalité, incluant au sein des sommaires décisionnels».
Du Conseil des Montréalaises (CM) au Projet Montréal de Valérie Plante, c’est ainsi qu’on aborde les enjeux prioritaires pour les Montréalaises. Le plus récent avis du CM, 15 recommandations pour une transition écologique juste et féministe à Montréal, illustrait ainsi, à coup de vulgarisation de recherches scientifiques, que les changements climatiques avaient plus d’impacts sur la santé et la sécurité des femmes que sur celle des hommes. Et que cette inégalité était exacerbée par l’intersectionnalité.
Ainsi, malgré les avancées de la condition féminine, les femmes font toujours face à de nombreux défis, sur l’île de Montréal et ailleurs au Québec.
Les changements climatiques et la santé des Montréalaises
L’anthropologue et chercheuse ayant contribué aux recherches sous-tendant l’avis du CM, Marianne-Sarah Saulnier, rappelle qu’au Canada, de 60 à 75% des femmes – dans les couples hétérosexuels principalement – s’occupent des tâches reproductives à la maison et que plus de 80% des personnes travaillant dans des secteurs relatifs au care sont des femmes. Qui plus est, 86% de ces femmes sont racisées.
Les quartiers plus défavorisés sont moins bien adaptés aux grands écarts de température causés par les changements climatiques. Et les femmes ont tendance à être plus nombreuses à demeurer dans ces quartiers, rapporte Mme Saulnier. Les femmes ont tendance à vivre dans des appartements mal isolés, donc mal chauffés en hiver et trop chauds en été, ce qui a un impact direct sur leur compte de banque et leur santé.
Où sont les femmes?
Depuis la démission du maire de Toronto John Tory en février dernier, les deux plus grandes villes du Canada sont pour la première fois de l’histoire dirigées en même temps par des femmes, Jennifer McKelvie à Toronto et Valérie Plante à Montréal, se réjouit Caterine Bourassa-Dansereau, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM. Si elle admet que «ce n’est pas tout», elle croit que cela prouve que les femmes sont capables de faire le travail.
Le CM rappelle qu’en 2017, seulement 39,8% des personnes ayant pris la parole «dans l’ensemble des lieux municipaux et paramunicipaux» étaient des femmes. De ce nombre, seulement 15,9% étaient des femmes faisant partie des minorités ethnoculturelles et seulement 0,7%, des femmes en situation de handicap.
La Ville doit donc s’engager à avoir des instances décisionnelles qui reflètent la diversité de la population montréalaise et à mettre en place des mesures pour encourager la participation citoyenne des femmes, croit le CM.
Les politiciennes affirment être souvent consultées sur des sujets liés à la conciliation travail-famille ou à leur statut de femmes – souvent, justement, dans le cadre du 8 mars –, explique la professeure de l’UQAM. Du côté des femmes issues des diversités, elles indiquent être consultées pour des enjeux de représentativité.
Pire, lorsque les politiciennes «mettent leur poing sur la table», elles sont souvent représentées dans les médias comme étant en colère ou «hystériques».
La parité n’est pas atteinte, ni en politique ni dans les médias.
Caterine Bourassa-Dansereau, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM
Aussi une réalité dans le sport
Le sous-financement des athlètes professionnelles est par ailleurs représentatif de l’iniquité salariale toujours omniprésente à Montréal et au Québec, mais aussi à l’international. Le manque de visibilité dont souffrent les équipes sportives féminines professionnelles n’est rien de moins qu’un «reflet de la société», estime la doctorante en sociologie à l’UQAM Nerea Aizpuru Arrillaga.
«Les écarts de revenus sont tellement grands entre les hommes et les femmes» que ces dernières se voient obligées d’user de davantage de créativité et de faire du marketing pour financer leur carrière, souligne Mme Aizpuru Arrillaga. Et souvent par des compagnies privées. Pour attirer leur attention, elles doivent être présentes sur les réseaux sociaux et s’occuper de leur image comme d’une image de marque, charge que les hommes ont moins à porter.
On est encore attachés aux stéréotypes de genre voulant que les hommes soient plus forts et que les femmes soient plus faibles.
Nerea Aizpuru Arrillaga, doctorante en sociologie à l’UQAM
La doctorante rappelle le cas d’Allyson Felix, une coureuse professionnelle et médaillée olympique qui avait perdu une commandite de Nike parce qu’elle était enceinte. Nike a par la suite instauré une politique de congé de maternité pour ses athlètes.
On peut également penser à l’actuel conflit de travail entre l’équipe féminine de soccer du Canada, qui dénonce l’iniquité entre le financement auquel ses joueuses ont droit et celui alloué à leurs homologues masculins.
On observe toutefois de moins en moins de disparité sur le plan de la popularité des épreuves aux Jeux olympiques. Chez les jeunes, avant l’atteinte du niveau professionnel, les filles sont pratiquement autant présentes que les garçons dans les équipes et les clubs de sport.
La pointe de l’iceberg
Difficile de faire le tour des enjeux touchant spécifiquement les Montréalaises en seulement quelques mots. Le droit et l’accès à l’avortement, par exemple, sont loin de pouvoir être tenus pour acquis. En plus des obstacles et de la disparité à l’accès à l’avortement à Montréal, les mouvements antiavortement usent de différents stratagèmes pour faire valoir leurs intérêts.
Le Parti conservateur du Canada (PCC) a récemment déposé un projet de loi visant à ce «que les crimes consistant à agresser consciemment une femme enceinte et causer des dommages physiques ou émotionnels à une femme enceinte soient pris en compte par les juges».
La députée saskatchewanaise ayant déposé ce projet de loi, Cathay Wagantall, n’en est pas à première tentative de rouvrir le dossier du statut juridique des fœtus. Rappelons qu’au Canada, légalement, l’accès à l’avortement réside entre autres dans le fait que «le fœtus n’a pas de personnalité juridique».
L’accès à des centres d’avortement varie également de région en région. Et c’est sans même aborder les conditions auxquelles les femmes et les personnes issues des minorités, et particulièrement les femmes trans et immigrantes, sont soumises lors de leurs passages dans le système de la santé.