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Non aux Nationals dans l’uniforme des Expos!

journalistes Canadien

Imaginez la scène. Je suis en train d’effectuer mon pèlerinage annuel, sur le boulevard Pie-IX à Montréal. Immobile depuis plusieurs minutes devant le Stade olympique – que l’anthropologue Serge Bouchard appelle la grande tortue sacrée – …

… une notification de mon téléphone intelligent m’extirpe de ma contemplation numineuse qui se nourrissait depuis quelques minutes de beaux et moins beaux souvenirs des Expos : la coupe Longueuil de Tim Burke, les balles arc-en-ciel de Pascual Pérez, les lancers foudroyants de Mark Langston et les élans dans le beurre de Mike Fitzgerald, qui était autrement un pas pire receveur.

La notification provient de mon application sportive préférée. L’info a l’effet d’une balle frappée avec vigueur de laquelle je n’aurais pas eu le temps de me protéger. Je la reçois en pleine face. Bang. «Les Nationals dans l’uniforme des Expos le 6 juillet.»

Oui, je sais, la nostalgie est à la mode. Même de vrais sports comme le hockey se sont prêtés à ce type d’exercice rétroactif. Pensons par exemple aux Hurricanes de la Caroline qui ont revêtu le temps de quelques matchs la saison dernière l’uniforme des Whalers de Hartford. Personnellement, je fulmine quand je vois des initiatives de la sorte.

«Jean-Philippe, vous êtes un adepte de la mémoire collective, ne devriez-vous pas savoir que cela joue une fonction positive sur le mental du monde?» demandez-vous. Rendre hommage aux Expos disparus, je veux bien; chercher à reproduire le passé, c’est insultant. Sans parler du fait que c’est carrément impossible.

Personnellement, je fulmine quand je vois des initiatives de la sorte. Rendre hommage aux Expos disparus, je veux bien; chercher à reproduire le passé, c’est insultant. Sans parler du fait que c’est carrément impossible.

«Mais c’est le retour dans le passé! Les joueurs des Nationals revêtiront l’uniforme des Expos et le stade de
Washington offrira du manger traditionnel canadien-français, notamment de la poutine et du smoked meat typiquement montréalais, peut-on lire dans le communiqué annonçant la nouvelle», ajoutez-vous. Ma foi, vous êtes aussi naïf qu’Ulysse.

Oui. C’est que le philosophe Vladimir Jankélévitch l’a en effet assez bien montré dans son ouvrage L’irréversible et la nostalgie. Ulysse était un grand nono naïf. Revenant d’exil après 20 ans, il souhaitait retrouver son lieu natal et le jeune homme qu’il était autrefois quand il l’habitait. Mais avec le temps, il était lui-même devenu un autre Ulysse. Puis, il voulait retrouver l’île d’Ithaque et sa Pénélope telles qu’il les avait laissées; elles étaient bien là à son retour, dans le même espace, mais elles avaient voyagé dans le temps. Et n’étaient plus les mêmes.

Bref, le 6 juillet, ne faites pas un Ulysse de vous et ne cherchez pas Burke, Langston, Perez (anyway, il est mort) ou Fitzgerald; ce seront des joueurs des Nationals habillés en Expos. Point. Vous-même n’êtes plus le même fan qu’à leur départ de Mont­réal, et ce, même si vous regarderez le match dans votre télé d’époque. La preuve, vous avez maintenant une bedaine.

Je vous entends me dire – et je commence à vous trouver fatigant – que vous avez déjà lu quelque part que «celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur», et qu’en habillant les Nationals en Expos, ça veut sûrement dire qu’ils vont revenir à Mont­réal. Eh boy.

De un, cette citation est tirée du roman 1984 de George Orwell, livre qui présente les péripéties d’un régime totalitaire. De deux, êtes-vous pour le totalitarisme, coudonc? OK, je m’arrête ici avant de me fâcher pour de vrai.

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