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Les commotions cérébrales sous la loupe

Depuis quelques années, il est pratiquement impossible de parler de sport sans aborder le sujet des commotions cérébrales. Les blessures au cerveau ont de lourdes conséquences sur les athlètes, autant chez les jeunes, les amateurs ou les membres des différentes ligues professionnelles.

Pour en savoir plus sur la question, Métro s’est entretenu avec Dave Ellemberg, docteur en neuropsychologie et professeur agrégé à l’Université de Montréal. Le Dr Ellemberg, qui a fait plusieurs études sur le sujet, vient de publier le livre Les commotions cérébrales dans le sport: une épidémie silencieuse.

Pourquoi vous être intéressé à la question des commotions cérébrales dans le sport?
Il y a une douzaine d’années, on parlait beaucoup du trauma crânien des victimes d’accidents de la route. Je me suis alors dit que les traumas à la tête causés dans le sport n’avaient pas l’air moins violents que les traumas légers dans un accident de la route. En plus, lorsqu’on a un accident de la route, les risques d’en avoir un autre peu de temps après sont relativement faibles. Dans le sport, on sait que si on retourne au jeu, et qu’on est encore secoué, ont a de cinq à sept fois plus de probabilités de se faire cogner à nouveau. En effet, la personne peut être un peu moins rapide, moins attentive, et son cerveau est plus fragile. Même un coup de moindre intensité peut causer une commotion.

Quelles sont les conséquences des commotions cérébrales?
Une commotion cérébrale altère le fonctionnement du cerveau. Des études en neuro-imagerie réalisées par plusieurs laboratoires dont le mien, indiquent que les neurones ne répondent pas avec la même vigueur [suite à une commotion]. Par contre, le cerveau arrive à compenser. Après quelques semaines, on ne la ressent plus, les symptômes disparaissent. Dans le fond, on nait peut-être avec un bagage de ressources un peu plus grand que ce dont on a besoin. On a des réserves. Une deuxième commotion cérébrale fait en sorte qu’on ira piger encore plus dans ces réserves. On sait que les séquelles après une deuxième commotion sont plus importantes et durent plus longtemps qu’à la suite d’une première. Et les études nous démontrent qu’après une troisième commotion, on est rendu un peu à la fin de nos réserves. À partir de ce moment, on risque d’avoir des problèmes de mémoire, des troubles de sommeil.

Il y a des athlètes de 15-16 ans, qui ont joué à un niveau compétitif, mais sans faire partie de l’élite, qui ont déjà cumulé trois ou quatre commotions. Il y a aussi l’encéphalopathie chronique traumatique (CET). Ce sont des dommages qu’on peut voir et mesurer qui indiquent que les tissus sont endommagés. On peut retrouver ça sur des cerveaux d’athlètes assez jeunes. Récemment on a vu des traces de CET chez des athlètes de 17-18 ans. Derek Boogaard (ancien dur-à-cuire de la LNH décédé en 2011) avait 28 ans. Des études réalisées par mon groupe de recherche montrent que des athlètes retraités de 50-60 ans, qui ne pratiquent plus depuis une trentaine d’années, et qui, dans leur vingtaine, ont subi quelques commotions en jouant au sein d’une équipe de football universitaire, ont un vieillissement qui n’est pas normal.

Que sont les sub-commotions?
Ce sont des coups qui ne causent pas de commotion. On peut penser à nos joueurs de soccer qui font des têtes, souvent plusieurs fois par match. Des études en neuro-imagerie ont démontré des modifications au niveau des contacts des cellules du cerveau chez les athlètes qui n’ont pas eu de commotions cérébrales, mais qui ont fait plusieurs centaines de têtes durant une saison. La même chose peut se produire avec nos joueurs de hockey avec leurs mises en échec. Il y a un effet cumulatif qui finit par causer une blessure.

Est-ce que les commotions sont plus graves chez les jeunes qui sont encore en développement?
Les études de mon laboratoire ont démontré que les adolescents – des jeunes entre 14 et 16 ans – sont beaucoup plus fragiles aux conséquences des commotions cérébrales. S’il subit le même coup qu’un adulte, le jeune aura des séquelles plus graves, comme des troubles de mémoire, d’organisation, de planification. L’activité électrique du cerveau est diminuée davantage que chez l’adulte. De plus, les athlètes professionnels bénéficient d’une prise en charge, d’un encadrement quand ils sont blessés, tandis que les jeunes sont laissés pour compte. Les jeunes ont autant de chance de souffrir d’une commotion que les pros.

Il faut aussi parler du syndrome du second impact, qui survient dans un très petit pourcentage des cas, mais qui peut avoir des conséquences catastrophiques. Des athlètes qui reçoivent un deuxième coup, dans les semaines après en avoir subi un premier, pourraient mourir. Deux athlètes américains sont décédés à cause de ce syndrome la semaine dernière. Les cerveaux de gens âgés entre 14 et 25 ans sont plus fragiles.

Est-ce que de retarder l’introduction des contacts dans les sports serait une façon de protéger les jeunes athlètes?
Absolument. Les gens ne réalisent pas à quel point les commotions cérébrales sont dangereuses pour le cerveau. Nos jeunes sont dans une période d’apprentissage, où ils doivent aller à l’école, être alerte. Si vous et moi sommes un peu moins alertes pendant une semaine ou deux, on sera peut-être moins performant au travail, mais cela n’aura pas de conséquences graves. Alors qu’un jeune peut échouer une année scolaire. Pour prévenir cela, on pourrait éliminer les contacts pour les jeunes au football, au hockey etc, en plus d’avoir une politique de tolérance zéro pour la violence.

Au hockey, par exemple, certaines personnes désirent que les mises en échec soient introduites à un plus jeune âge. De cette façon, les jeunes seraient mieux préparés à affronter cette réalité et éviteraient des blessures. S’agit-il d’une bonne option?
Selon les études scientifiques, les jeunes qui commencent plus tôt ont plus de blessures, mais ceux qui commencent plus tard ne sont pas moins à risques.

Est-il possible que les commotions cérébrales soient plus courantes qu’on ne le croit?
Certainement. Pour avoir une réponse, on doit regarder du côté des États-Unis, car il y a plus d’encadrement qu’ici. Quand on regarde les dossiers médicaux, un taux de 20 % des athlètes vont voir le médecin de l’équipe pour une commotion. Si on revient avec ces mêmes athlètes et on les questionne de façon anonyme – donc qu’il n’y aura pas de répercussions pour eux – et on leur fait une liste des symptômes des commotions, 50 % d’entre eux disent avoir été victimes d’une commotion. Et ce sont des études qui ont été répétées par plusieurs groupes de recherche, autant aux États-Unis qu’au Canada.

Quel conseil donneriez-vous à des parents qui pensent inscrire leur enfant dans un sport où il risque de subir une commotion cérébrale?
Je dirais allez-y. On veut que les jeunes bougent, qu’ils fassent du sport. Mais assurez-vous que les gens en charge, et qui gravitent autour de l’équipe connaissent les commotions cérébrales et prennent ça au sérieux. Est-ce qu’il y a un programme de gestion? Est-ce qu’il y a des personnes pour identifier des circonstances qui pourraient potentiellement causer des commotions? Et quand cela arrive, qu’est-ce qu’on fait? Aux Etats-Unis, la majorité des États ont une loi qui, dans le doute, obligent les équipes à retirer le jeune du jeu. Ce n’est pas à l’entraîneur de juger si le jeune a eu une commotion. Le jeune ne peut retourner au jeu qu’avec l’avis d’un professionnel de la santé.

Qu’est-ce que les ligues professionnelles pourraient faire de plus dans la lutte aux commotions cérébrales?
Les athlètes devraient être sensibilisés davantage aux symptômes en plus d’être conscients du message qu’ils véhiculent aux jeunes. Les ligues pourraient aussi éliminer la violence. Tolérance zéro. Des fois, on les voit essayer de trancher, est-ce que tel coup était planifié ou non? Voyons donc!

Que font-elles de bien dans cette lutte?
Chaque équipe de la LNH et de la NFL, par exemple, ont des médecins et des neuropsychologues depuis plusieurs années. Ils évaluent les fonctions cérébrales des joueurs en début de saison. Lorsqu’un athlète rapporte avoir eu une commotion, il est réévalué. Je ne connais pas assez leurs programmes pour savoir s’il est bon ou pas, mais au moins il y a quelque chose qui se fait.

Jusqu’à quel point la culture belliqueuse dans certains sports – dont le hockey et le football – nuit à la lutte aux commotions cérébrales?
Les athlètes, dès l’adolescence, sont durs avec eux-mêmes. On les entraîne psychologiquement à endurer la douleur. Quand ils arrivent dans le «double lettre», plusieurs rêvent d’une carrière. On leur dit, «ton genou, il ne te fait pas mal». Et ça devient un trophée de jouer blessé. Donc, ce sont des jeunes qui endurent constamment de la douleur. Ils ne perçoivent pas nécessairement une nouvelle douleur qui s’ajoute. Ça prend un changement de mentalité. Il y a des études qui avancent qu’un athlète sur deux nierait la présence d’une commotion cérébrale.

Y a-t-il un degré de gravité dans les commotions cérébrales?
Depuis 2001, le regroupement de spécialistes en médecine du sport sur les commotions cérébrales a abandonné la classification des commotions cérébrales. On s’entend pour dire qu’il n’y a pas de petite commotions cérébrales. Surtout qu’un tout petit impact peut avoir des conséquences graves chez un athlète qui a déjà eu trois ou quatre commotions.

Une fois qu’un athlète a été victime d’une commotion, quelle devrait être la procédure à suivre?
Que ce soit un jeune ou un professionnel, il doit être retiré du jeu. Ensuite, il doit être vu par un professionnel de la santé qui s’y connaît en matière de commotions cérébrales. Quand il n’a plus de symptômes à l’effort, il faut faire un bilan des fonctions cérébrales avec des tests en neuropsychologie.

À quel moment un athlète devrait arrêter de pratiquer une activité où il est possible de subir des commotions?
C’est du cas par cas. Il ne faut pas attendre qu’il y ait des séquelles. On retire l’athlète avant qu’il ne soit trop tard. Après la commotion numéro trois, on sait que le risque de développer la maladie d’Alzheimer augmente par un facteur de dix. L’athlète est plus à risques de souffrir de dépression grave, d’avoir un syndrome post commotionnel, ce qui veut dire que tous les jours, la vie de la personne est hypothéquée par des symptômes. Au moins, on devrait faire un bilan cognitif sérieux réalisé par une personne neutre après la deuxième commotion. Est-ce que la prochaine commotion sera celle qui fera basculer ma vie? On veut arrêter avant celle-là! Agir ainsi nous forcerait à rendre le jeu plus sécuritaire.

Par quoi passe la résolution du problème? La prévention? Un changement de culture? De meilleures procédures?
D’abord, on change la mentalité. Il faut éduquer et sensibiliser les athlètes. On informe les gens et les parents. Aux Etats-Unis, les parents doivent signer un contrat au début de la saison pour indiquer qu’ils sont bien au courant des risques. Les entraîneurs doivent suivre des formations. Ensuite, il faut diminuer les risques. Tolérance zéro en ce qui concerne la violence et éliminer les circonstances qui peuvent causer des commotions. Et, finalement, établir un programme de surveillance et de gestion des commotions cérébrales.

Il n’y a pas de casque magique
Selon le Docteur Dave Ellemberg, il faut déboulonner le mythe du casque révolutionnaire qui pourrait éliminer les commotions cérébrales. «On parle parfois de super casques révolutionnaires. Ça n’existe pas. D’abord, les commotions cérébrales ne sont pas nécessairement causées par un coup à la tête. Je me fais plaqué, rien ne touche ma tête, mais le coup de fouet fait basculer ma tête et c’est ce qui fera en sorte que mon cerveau va se cogner. Un casque ne peut rien faire contre cela. Le casque, quand tu reçois un coup directement à la tête, peut se déformer pour absorber une partie du choc. Il peut également distribuer la force de l’impact. Ultimement, la tête, si elle est secouée quand même, n’est pas nécessairement protégée. Le casque va protéger contre les accidents plus catastrophiques, comme une fracture du crane, ou un trauma qui va m’handicaper pour le reste de ma vie.»

  • Le livre du Docteur Dave Ellemberg, Les commotions cérébrale dans le sport : une épidémie silencieus, est présentement disponible.
  • Le Docteur Dave Ellemberg sera au Salon du livre de Montréal vendredi soir

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