Signer un agent (pas) libre
Canadien étant pourri en matière de repêchage, les yeux de l’espoir se tournent depuis plusieurs années vers ce qu’il serait convenu d’appeler le recyclage.
Malheureusement, Canadien s’est trop souvent trompé de concept depuis 10 ans et a fait régulièrement du compostage à la place. Des joueurs vedettes finis sont ainsi venus choir à Montréal; et, bien souvent, avant la fin de la saison pour laquelle ils n’avaient signé qu’un contrat d’un an, il a fallu que Marc Bergevin sorte le sac, car ça commençait à puer considérablement. Sans parler du fait que le sac fendait parfois sur le plancher quand on le transportait vers le bord du chemin. Ar-ke.
N’empêche qu’à la base, dans le monde du sport, le processus du recyclage et du compostage demeure sensiblement le même : il s’agit de signer des agents libres pour se donner l’impression qu’on s’améliore. Seul le résultat est différent.
Mais est-il véritablement question d’agent libre, comme l’expression le suggère? Bien sûr, le lecteur me voyant venir me dira qu’il y a des agents libres avec et d’autres sans restriction; ainsi, on l’aura deviné, la liberté d’un agent avec restriction n’en est pas vraiment une. Soit. Mais je repose la question, en la précisant : l’agent libre sans restriction est-il vraiment libre?
On ne le répétera jamais assez: le joueur de hockey est avant tout un humain. Et, règle générale, l’humain aime se croire libre. Or, Spinoza fait partie de la longue liste des philosophes qui ont affirmé au fil de l’histoire que la liberté n’est qu’une illusion, illusion elle-même créée par l’illusion de la volonté. Ainsi, dans le pire des cas, les humains se pensent libres, alors qu’ils sont d’abord et avant tout inconscients des déterminismes qui les ont forgés. Au mieux, ils en sont conscients, et là, la liberté devient une quête dont l’objectif est de prendre une distance face à ces déterminismes, bref, de se réinventer. Apparaît alors l’idée de la liberté comme une quête, voire une conquête. Pas de la Coupe Stanley, mais de soi.
Cela étant dit, vous me permettrez de classer le joueur de hockey dans la première catégorie, celle de l’inconscience des déterminismes sociaux l’ayant constitué en tant que motté. Et puisque vous me le permettez, et je vous en remercie, je proposerai ici une nouvelle appellation pour les agents libres – avec ou sans compensation. Je propose qu’on les appelle agents aliénés.
D’une part, parce que ça correspond à la réalité sociologique évoquée ci-dessus, et d’autre part, parce qu’on a très hâte d’entendre Marc Bergevin essayer de prononcer l’expression «agents aliénés» à son prochain point de presse.