Safia Nolin: une «Saint-Jeanne» au lieu de la Saint-Jean
La Fête nationale des Québécois aura assurément un visage différent cette année. Non seulement les traditionnels rassemblements sont-ils repoussés à l’an prochain, mais un nouvel évènement veut élargir les limites de l’identité québécoise: la Saint-Jeanne, projet parrainé par Safia Nolin.
Cette idée de «Saint-Jeanne», clin d’œil à l’identité fluide des participants, est née de la rencontre virtuelle entre l’autrice-compositrice-interprète et son ami Philippe Marinier.
La première, confinée en France, était en plein examen de conscience dans la foulée de la mort de George Floyd et de la montée du mouvement Black Lives Matter.
Le second, homme queer dans la jeune vingtaine, venait de quitter son emploi, déçu de la réponse de son employeur à la lutte contre la discrimination, et cherchait à s’engager auprès de la communauté LGBTQ+.
Ensemble, ils ont eu l’idée d’une Saint-Jean qui ferait une place d’honneur aux différentes communautés culturelles et LGBTQ+.
«Le mandat de la Saint-Jean devrait être de représenter les Québécois, la diversité et la beauté de notre culture.» – Safia Nolin, autrice-compositrice-interprète et organisatrice de la Saint-Jeanne
La programmation du spectacle virtuel est en effet à des années-lumière de ce qu’on trouve (en temps normal) sur les plaines d’Abraham: des artistes trans, racisés ou autochtones comme la rappeuse Backxwash, l’humoriste Tranna Wintour, la comédienne Gabrielle Boulianne Tremblay ou le musicien Jeremy Dutcher.
Kiara, fière participante de Canada’s Drag Race, sera à l’animation. Le tout sera diffusé sur les pages Facebook, Instagram et YouTube de Safia demain à 20h.
«La fête nationale, ça ne m’a jamais touché. Pourquoi? Parce que les artistes qu’on retrouve sur scène, ce ne sont pas des gens qui me ressemblent ou qui viennent me chercher», admet Philippe Marinier.
«Pour moi, c’est mon identité queer qui fait que je ne m’y reconnais pas, mais pour d’autres c’est la couleur de leur peau, leur statut d’immigrant ou la langue qu’ils parlent à la maison. Mais tous ces gens sont Québécois. Être Québécois, ce n’est pas qu’être blanc et parler français.»
Une identité plus ouverte
Le temps est donc venu de proposer une définition plus ouverte de l’identité québécoise, croient les deux organisateurs en herbe.
«Mon Québec à moi est queer, racisé, militant, artistique et parfois anglophone. Ce sont des aspects qui ne sont pas représentés par la fête nationale. Et tout simplement pas représentés dans la société en général», estime Safia Nolin, née d’un père algérien et d’une mère québécoise, pour expliquer l’origine de la Saint-Jeanne.
«Beaucoup de gens pensent que si leur définition de l’identité québécoise se colle à la majorité, c’est une bonne définition. Je pense que c’est là le problème. L’identité québécoise, c’est tout et n’importe quoi. Si tu vis au Québec, si le Québec est ta maison, alors tu es Québécois. C’est aussi simple que ça. On ne devrait pas remplir certaines cases pour se dire Québécois», soutient Philippe Marinier.
«Tous les jours, malheureusement, des gens doivent choisir entre une identité et une autre. Et beaucoup ne s’identifie pas comme Québécois, parce que tout ce qu’on leur sert, à la télé, ce sont des personnes blanches, présumées hétérosexuelles et cisgenres. Il n’y a pas de place pour d’autres représentations.»
Un espace «différent»
Un recensement rapide de la quarantaine d’artistes qui participeront au spectacle Le Québec à l’unisson, qui remplacera les grands spectacles de la Saint-Jean cette année, permet de constater que (encore une fois) l’écrasante majorité des invités sont blancs, francophones et hétéros.
Si les deux animateurs de la soirée (Ariane Moffatt et Pierre Lapointe) sont ouvertement gais, deux seulement (Gregory Charles et Corneille) sont issus de communautés culturelles, en plus de Didier Lucien, porte-parole officiel de la Fête nationale 2020.
La communauté anglophone sera représentée par Martha Wainwright et Jim Corcoran, alors que l’artiste inuite Elisapie participera au discours patriotique.
Les deux organisateurs assurent ne pas organiser leur Saint-Jeanne «contre» la fête nationale, mais bien pour créer un endroit pour rassembler tous ceux et celles qui se retrouvent dans leur message.
«C’est un espace complètement différent, dit Philippe Marinier. On veut profiter du congé et de ce que ça signifie pour se réapproprier la Saint-Jean et créer un espace pour nous, pour les gens qui nous tiennent à cœur et ceux qu’on veut mettre de l’avant.»