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Le confinement de l’Occident a-t-il mis en danger des pays en développement?

un chien circule dans une rue vide de Valsad, en Inde, pays en développement également frappé par les mesures de confinement.
Une rue vide de la ville de Valsad, en Inde, pays également frappé par la COVID-19. Photo: Arpit Khambhata/123RF

Avons-nous trop négligé les effets collatéraux du «lockdown»? Souvent oublié, l’impact qu’a eu le confinement de nos sociétés sur les populations déjà marginalisées, notamment dans les pays en développement, doit être adressé d’urgence. C’est du moins ce qu’implorent cinq spécialistes, dans un avis publié récemment sur le site de la revue scientifique The Lancet.

«Au fond de la pile mondiale, la récession n’est pas seulement une question d’avoir moins. C’est une question de vie ou de mort. Lorsque nous entrons en confinement, nous causons des décès dans les pays en développement pour prolonger la vie dans le monde développé», martèlent les auteurs. Ceux-ci, notamment le professeur de médecine Alex Broadbent et l’économiste de la santé Damian Walker, affirment que le confinement tue, lui aussi.

«Les décrets de confinement tuent des personnes en perturbant les services de santé et en privant les moyens de subsistance. Trop pauvres pour résister à la tempête et chanceux pour atteindre l’âge adulte, ceux qui sont proches ou en dessous du seuil de pauvreté ne bénéficieront que peu du confinement, mais ils en supportent la part du lion.» -Extrait de l’avis

Certes, l’approvisionnement commercial de tous les pays a été durement touché. Mais la dépendance marquée de certains a fait plus mal dans certains secteurs, notamment en Afrique centrale, où plusieurs pays sont dépendants des exportations de pétrole et de matières premières.

«Les frontières ont été fermées, compromettant les moyens de subsistance des commerçants transfrontaliers informels, en particulier les femmes, et causant des ravages dans les pays en développement sans littoral tels que le Tchad et la République centrafricaine», a notamment illustré vendredi dernier le directeur du Bureau sous-régional Afrique centrale de la Commission économique des Nations Unies, Antonio Pedro, dans une lettre ouverte.

Pas égalitaire?

C’est que le confinement «n’est manifestement pas égalitaire dans ses coûts ou ses avantages». «Nous devons évaluer les mesures de manière globale en nous souvenant que les coûts incomberont, comme toujours, aux pauvres du monde entier», ajoute la coalition d’experts citée dans la revue The Lancet.

«Les riches peuvent profiter de l’économie, mais les pauvres en vivent», illustrent-ils. Ce postulat soulève une question pour le moins intéressante dans la communauté scientifique; avons-nous tué des populations du Sud, typiquement plus pauvres, en fermant l’économie et les systèmes d’approvisionnement du Nord, et donc de nos sociétés occidentales plus développées?

Si la plupart des observateurs reconnaissent que l’équilibre de nos échanges s’est fragilisé, ils sont unanimes sur un fait: les plus vulnérables ont été les plus touchés.

Et plus près de chez nous?

Pour l’experte en économie de la santé à l’Université de Montréal, Roxane Borgès Da Silva, il va de soi que les plus démunis ont écopé de la COVID-19. Ce triste bilan se voit d’ailleurs beaucoup plus près de chez nous, dans des villes comme Montréal, selon elle. Plusieurs banques alimentaires se sont d’ailleurs retrouvées avec des «files monstres» devant leurs locaux, sans pouvoir répondre à la demande, observe l’experte.

«Au Québec, plusieurs personnes vulnérables ou défavorisées accédaient aisément aux banques communautaires avant la pandémie, et avaient beaucoup de soutien des organismes. Sauf que ces organismes font traditionnellement appel à des bénévoles à la retraite, de 60 ans et plus. Ils se sont retrouvés avec aucune main-d’œuvre, sans pouvoir vraiment fonctionner.» -Roxane Borgès Da Silva, de l’UdeM

Cela dit, autant dans les pays en voie de développement que dans les pays «industrialisés», une question demeure en suspens, selon la spécialiste. «On a sauvé des vies, mais en fin de compte, les personnes décédées sont en majorité des résidents en CHSLD qui avaient moins d’espérance de vie. Est-ce que ça valait le coup, pour la santé mentale de nos jeunes, de nos plus démunis? Chose certaine, il faut se poser la question», ajoute Mme Borgès Da Silva.

«Toutes ces personnes se sont retrouvées dans un espèce de vide. Les plus démunis en ont beaucoup plus pâti qu’on pourrait le penser, au profit de cet effort pour sauver des vies justement», renchérit-elle, soulignant que tous les pays du monde tireront beaucoup de leçons de cette pandémie, sur le plan strictement social.

Quelle vulnérabilité pour la population mondiale?

La COVID-19 a fait plus de 500 000 morts et les États-Unis, le Brésil et le Royaume-Uni en sont les pays les plus meurtris. Cependant, selon Philip Cafaro, professeur de philosophie à l’Université du Colorado et spécialiste de problématiques telles que la surpopulation et la préservation de la faune, la mort d’un demi-million de personnes «ne fera pas une grande différence sur le plan démographique».

«Ces dernières années, la population mondiale a augmenté de 80 à 85 millions de personnes par an ou un milliard par décennie, dit-il. Un demi-million de morts est une perte importante et autant de familles endeuillées. Et la COVID-19 pourrait encore tuer des millions de personnes et causer d’autant plus de souffrance».

David Coleman, professeur émérite de démographie à l’Université d’Oxford au Royaume-Uni, abonde relativement dans le même sens.

«Ce sont des tragédies épouvantables pour les familles concernées. Mais à l’échelle mondiale, l’impact sera finalement très faible. Environ 55 millions de personnes meurent chaque année, soit environ 150 000 par jour. L’impact est difficile à évaluer, certains pays seront plus affectés que d’autres. Comme beaucoup de victimes sont âgées et fragiles, beaucoup seraient mortes de toutes façons dans la prochaine année», envisage-t-il.

En réalité, le principal problème, selon M. Coleman, est que de nombreux pays «ne sont pas suffisamment équipés pour identifier les causes des décès et établir un bilan fiable de leurs morts de la COVID-19». «Même dans les pays développés, la mortalité dans les maisons de retraite pourrait être sous-estimée. Dans d’autres pays, les données pourraient être dissimulées», conclut l’expert.

Avec la collaboration de Miguel Velazquez, Metro World News

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