Pourquoi le NPD a manqué le bateau au Québec
S’il a fait un léger gain aux élections fédérales lundi, s’adjugeant 25 sièges à travers le pays, le Nouveau parti démocratique (NPD) a conservé le même poids au Québec. Seul le député sortant Alexandre Boulerice a été réélu. Qu’est-ce qui nuit au parti pour séduire les Québécois?
Par Frédérick Guillaume Dufour, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
ANALYSE – L’élection de 2021 ne s’est pas conclue sur un statu quo. Le Parti libéral du Canada (PLC) aurait espéré un gouvernement majoritaire, mais en remportant un autre gouvernement minoritaire, il gagne deux années supplémentaires pour forger le pays à son image.
Deux ans en politique, c’est long. De plus, la victoire libérale a permis d’approfondir la division au sein des droites canadiennes. Une division sûrement vue d’un bon œil au PLC, même si elle traduit aussi une progression des votes de droite. Sur le flanc gauche des libéraux, le Parti vert (PV) est atomisé et le NPD fait du surplace.
Donc, en dépit d’un début de campagne très ordinaire, le PLC résiste à l’usure du pouvoir depuis 2015 et ses adversaires ne sont pas prêts de vouloir repartir en campagne.
Professeur de sociologie politique à l’UQAM, mes recherches actuelles portent sur les dynamiques nationalistes au Canada et en Europe de l’Ouest, ainsi que sur les populismes de droite. Nous passerons ici sous la loupe la performance du NPD au Québec durant cette campagne. Deux raisons stimulent cet examen. D’abord, le Québec envoie à Ottawa 78 des 338 députés fédéraux, c’est une quantité non négligeable. Puis, c’est en passant par le Québec que le NPD a connu ses meilleurs résultats passés aux élections fédérales.
Qu’en est-il des élections de 2021 ?
À l’échelle fédérale, le NPD est passé de 15,9 % à 17,7 % du suffrage exprimé dans le cadre de l’élection fédérale de 2021. Il passe de 24 à 25 députés. Ces chiffres sont cependant bien loin de ceux de la croissance connue sous Jack Layton. Au Québec, le suffrage exprimé en faveur du parti a glissé de 10,7 % en 2019 à 9,8 % en 2021. L’ancien chef Thomas Mulcair s’était fait montrer la porte du parti après avoir récolté 25,4 % du suffrage exprimé au Québec.
Le défi du cadrage politique à travers le prisme des régionalismes
Les régionalismes pèsent lourd sur l’échiquier politique canadien. C’est donc un important défi pour un parti politique de cadrer son message afin qu’il se module adéquatement aux différentes régions canadiennes.
Ce problème de cadrage est persistant pour le NPD au Québec depuis 2016. Le parti est en baisse, il peine à attirer des vedettes ou des appuis locaux de taille et le seul député québécois, Alexandre Boulerice, est beaucoup plus populaire que son parti.
Même dans Laurier Ste-Marie, une circonscription très à gauche, détenue par la néodémocrate Hélène Laverdière de 2011 à 2018, le parti n’est pas parvenu à déloger Steven Guibault, qui entame un second mandat.
Qu’est-ce qui explique ces difficultés du NPD au Québec ?
La réponse est évidemment un ensemble de facteurs. Certains sur lesquels le NPD a moins de prises, d’autres sur lesquels il a une prise et sur lesquels il a besoin d’un sérieux examen de conscience.
La dynamique du système partisan
Un premier facteur qui joue contre le NPD est la dynamique du système partisan canadien. Les libéraux étant perçus comme l’alternative naturelle au PCC sur l’échiquier fédéral, les électeurs se rabattent sur eux pour bloquer les conservateurs. C’est la force centrifuge d’un mode de scrutin uninominal à un tour.
Or, la crainte d’un gouvernement conservateur a été bien réelle durant cette élection. Les sondages donnaient les conservateurs en tête pendant le deuxième tiers de la campagne. La perspective de les voir au pouvoir a pu favoriser un retour vers la valeur refuge chez des électeurs tentés de voter pour le NPD.
Sur une plus longue échelle historique, le 49,2 % du NPD au Québec en 2011 s’inscrivait dans la foulée du scandale des commandites qui a fait mal à la marque libérale au Québec. Ce chiffre n’est donc pas le baromètre à la lumière duquel on doit évaluer la performance du NPD au Québec. Cependant, on peut se demander pourquoi le parti y performe sous l’échelle nationale. Il ne faut pas oublier que le début des années 2000 avait été des années de vache maigre au Québec : le parti récoltait 4,5 % en 2004, 7,5 % en 2006 et 12,2 % en 2008 avant de monter à 49,2 % en 2011.
La trajectoire de la campagne et les effets de polarisation
La trajectoire de la campagne est une autre variable à prendre en compte pour expliquer la difficulté du NPD à tirer son épingle du jeu en 2021. En faisant de la lutte à la Covid-19 l’enjeu central de la campagne, le PLC a activé une polarisation entre lui et le PC qui laissait peu de place aux autres partis. Un second cadrage, qui s’est imposé dans la campagne, a été celui autour de la question des fusils d’assaut. Encore une fois, cet enjeu activait une polarisation entre le PLC et le PC où les autres joueurs étaient hors jeu.
Puis, il y a eu la fameuse question posée à Yves-François Blanchet par l’animatrice du débat en anglais. Au Québec, elle a clairement activé une polarisation entre le PLC et le Bloc Québécois. Le chef du Bloc a bien placé son capital d’indignation en banque et il est parvenu à le faire fructifier jusqu’à la fin de la campagne. Les données compilées par ma collègue Claire Durand indiquent clairement une remontée du Bloc entre les sept jours avant et les sept jours après « la question ». Quoiqu’en pense Angus Reid, qui s’égare avec des comparaisons hors d’ordre entre la performance du Bloc en 2019 et 2021, ce fut un point tournant pour la campagne du Bloc au Québec.
Sur ces trois axes de polarisation, il était difficile pour le NPD de tirer son épingle du jeu. Le parti aurait cependant eu plus de marge de manœuvre et de crédibilité sur le troisième axe si certains de ses députés n’avaient pas relayé une vision aussi simpliste de la société québécoise durant l’année précédant la campagne.
L’opposition fédéraliste-souverainiste ?
Les néodémocrates du reste du Canada ont souvent expliqué la faible popularité de leur formation au Québec par l’importance qu’y occupe le vote souverainiste. Cette explication, cependant, explique mal la marginalisation actuelle du NPD au Québec. L’appui à la souveraineté est en déclin au Québec depuis 1995 et il n’est plus ce qu’il était chez les jeunes électeurs. Même les électeurs de Québec Solidaire sont autour de 50 % à ne pas partager l’orientation résolument indépendantiste de Gabriel Nadeau-Dubois et de sa garde rapprochée.
Ainsi, la dynamique du système partisan et les polarisations activées par la campagne expliquent en partie la faiblesse du NPD au Québec, le vote souverainiste beaucoup moins. Par contre, quatre éléments conjoncturels auraient pu favoriser le NPD : l’effondrement du Parti vert, le léger recul du PLC, l’appui du Bloc Québécois au troisième lien entre Québec et Lévis et le déclin de l’option souverainiste au Québec. Il n’en a pas bénéficié. Pourquoi ?
Jack Layton et l’esprit de la Déclaration de Sherbrooke
Les bonnes années du NPD au Québec n’étaient pas liées seulement à la conjoncture du scandale des commandites. Comme mon collègue David McGrane et moi l’avons démontré, elles étaient également liées à deux autres facteurs : d’abord à l’adhésion des électeurs potentiels du parti au Québec et de la députation québécoise aux principes de la déclaration de Sherbrooke, puis, à la capacité de Layton, puis de Mulcair, à incarner l’esprit de cette déclaration.
La Déclaration de Sherbrooke rompait de façon très nette avec l’horizon centralisateur qui a caractérisé l’histoire du NPD au Québec. Elle allait beaucoup plus loin dans la reconnaissance de la légitimité des luttes sociales et culturelles portées par une partie des nationalistes au Québec.
Par ailleurs, Jack Layton et Thomas Mulcair avaient une longue expérience de la société québécoise. Car, il ne s’agit pas seulement de réciter les articles de la Déclaration de Sherbrooke, il faut aussi en incarner l’esprit et les subtilités aux détours de la politique canadienne et québécoise. Il faut comprendre rapidement quels terrains il faut occuper, lesquels on ne peut pas concéder aux autres formations, et ceci souvent très rapidement.
Ces deux éléments de l’ère Layton font défaut au NPD depuis 2016. Bien avant le début de la campagne de 2021, l’impression que le NPD avait déjà concédé le Québec était déjà palpable.
Durant la campagne, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a manqué plusieurs occasions d’incarner l’esprit de Sherbrooke. La commémoration du dixième anniversaire de la mort de Jack Layton, en début de campagne, n’y a pas fait allusion. Le chef a mal navigué sur les questions, pourtant prévisibles, sur le respect des champs de compétence des provinces. Si ces erreurs étaient survenues durant sa première campagne, on aurait pu les mettre sur le dos de l’inexpérience. C’est plus difficile lors d’une deuxième campagne.
De façon plus générale, il est très difficile de comprendre pourquoi l’organisation du NPD a mis en veilleuse la conception du fédéralisme qui est l’héritage le plus important de la période Layton. En coulisses, on entend que les meilleurs organisateurs de l’époque Layton ont quitté la formation pour aller travailler pour les ailes provinciales du NPD, qui ont connu des succès dans l’Ouest canadien.
Cette réponse n’est pas suffisante. Si le parti ne part pas avantagé dans la course au Québec, son organisation nationale et son leadership actuel doivent aussi être tenus responsables de son échec. Son manque de vision et de flair politique au Québec contribuent à expliquer pourquoi d’anciens électeurs fédéralistes du NPD préfèrent voter pour le PLC, voire pour le Bloc Québécois, que pour une formation où ils se sentent incompris.
Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article a été republié à partir du site de The Conversation. Lisez l’article original ici.