La chute
Vous savez que même des gens très intelligents tirent gloire de pouvoir vider une bouteille de plus que le voisin. (Camus)
CHRONIQUE – Une confidence, toute petite: le carnaval médiatique, social et traditionnel, entourant les récentes mésaventures d’influenceurs m’a laissé non seulement perplexe, mais ébranlé.
Que ces bonnes gens puissent gagner leur pain en banalités excentriques et abyssales, d’abord.
Qu’on leur accorde une trop large semaine d’attention du fait de leur débâcle Sunwing, ensuite.
Qu’une pléiade de journalistes sérieux se déplacent pour une conférence de presse organisée par Narcisse 1er, surtout. La chute de l’Occident en une image, en quelque sorte.
La même journée ou presque, un entrefilet de Radio-Canada, repris nulle part ailleurs, sauf erreur, signalait que les glaciers de la Colombie-Britannique et de l’Alberta ont subi une fonte moyenne sept fois plus rapide dans la dernière décennie.
Pas la faute complète du média traditionnel, cela dit. Celui-ci ne cesse, merci aux diktats du clic galvanisés par les disparités GAFA, de se dépatouiller entre «intérêt public» et «intérêt du public». Difficile sinon impossible, en fait, d’ignorer le régal populaire d’une masse critique quant aux débandades d’ostrogoths, dixit un premier ministre s’étant également laissé prendre au jeu.
Le phénomène de la saucisse Hygrade, donc, tournant autour d’une stratosphérique insignifiance. Parce que si l’on a effectivement les gouvernements que l’on mérite, la pareille s’applique, pas de doute, en matière de médias.
Autre nouvelle occultée par la Tornado El Narciso: la chute potentielle de la démocratie américaine. Selon quelque 150 profs et intellos du sud de la frontière, l’incapacité d’assurer l’intégrité du système électoral en viendra à rompre un filage déjà drôlement effiloché.
Selon Thomas Homer-Dixon, directeur du Cascade Institute à la Royal Roads University et auteur de Commanding Hope: The Power We Have to Renew a World in Peril: «By 2025, American democracy could collapse, causing extreme domestic political instability, including widespread civil violence. By 2030, if not sooner, the country could be governed by a right-wing dictatorship. We mustn’t dismiss these possibilities just because they seem ludicrous or too horrible to imagine.»
Demain matin, en somme. Et si les USA cèdent effectivement aux chants des sirènes dictatoriales, qui pour penser que les assises démocratiques canadiennes demeureraient alors intactes?
Après-demain? Autre enjeu, rattaché à celui mentionné ci-dessus: 220 millions de réfugiés climatiques à la recherche d’oasis, d’ici… 2050. Non pas EN 2050, mais bien D’ICI 2050. Où iront-ils? Ou plutôt, où seront-ils accueillis? Dans une nouvelle Amérique fascisante? Dans une France où, au moment d’écrire ces lignes, près du tiers de la population appuie un.e candidat.e d’extrême droite aux prochaines présidentielles? Dans une Hongrie qui, récemment, donnait la directive à son armée de faire feu sur tout réfugié traversant les lignes? Dans la Russie de l’éternel Poutine?
Ce qui précède a d’ailleurs amené la CIA à produire un rapport, peut-être coulé par inadvertance, annonçant le caractère inévitable de guerres climatiques de façon imminente.
Tout ceci avec, en filigrane, une interminable manif où (trop de ses) participants assimilent Shoah, dictature, esclavagisme américain et… mesures sanitaires. Holocauste et passeport vaccinal pour accéder à la salle à manger du Vieux Duluth, même combat.
Le temps de se ressaisir? S’il est encore temps, oui. Vite.
Et pardon, j’oubliais: la citation de Camus, en exergue, provient d’un de ses succulents romans: La chute.