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Un petit coup de klaxon pour Jimmy

En début de semaine, je soupais avec une bonne copine à moi, enseignante au primaire dans une école de Montréal. Après avoir mangé tout le pain qui était sur la table et spéculé sur ma prochaine coupe de cheveux, j’ai pris de ses nouvelles (et recommandé du pain). De la grève. De comment ça se passe, toute cette histoire-là.

Car hormis deux ou trois vox-pop à la patte cassée et moult samarcettes d’Éric Salvail devant des enseignants forcés de faire «une ligne, un punch» pour le public en studio, on ne nous sert que des images de profs en canadienne qui ondulent sur un coin de rue en soufflant dans des trompettes de pauvres pour faire valoir leurs droits. Un salaire décent. Des ressources. Un Bescherelle qui n’a pas connu Jeanne Mance. Un peu de sens pour nos petits.

La grève des enseignants ne dure que trois jours. Trois petits jours de dissidence (et six jours pour les spécialistes et les services de garde). Quelques jours so-so pour les parents à devoir appeler mamie pour faire garder le petit Médérick ou à traîner la belle Sophie-Lyne et sa poupée-qui-pisse au bureau, faute de mamie.

C’est pas commode, c’est bien certain. Mais revendiquer un samedi soir, dans un sous-sol d’église, les lumières éteintes, en chuchotant en araméen, ça ne décoiffe hélas personne. C’est à ça que ça sert, une grève. À déranger l’équilibre capillaire, un peu.

Mais ce que ma copine m’a confié, c’est tout ce qui se passe sous la couverture. Ce qu’on ne voit pas, ni ne sent. Parce que les profs ne font pas qu’onduler hilares sur des rythmes latins devant la polyvalente, quand tu vas chercher ton cronut, par un matin de grève. Ils culpabilisent. «Feelent» cheap rare. Car brandir des pancartes une journée de temps en temps, ça peut aller. Mais cesser de travailler après les 32 heures pour lesquelles ils sont payés, pour faire pression, c’est dur.

C’est dur de refuser à sa classe cette chouette sortie de ballet-théâtre. C’est dur de garder la tête haute en remettant ses notes manuscrites sans les entrer dans le système informatique. Et c’est dur, les soupirs-caviar de parents Angus qui t’accusent de FROISSER la routine du jeune Cyril-Paul souffrant de dyslexie, alors qu’ils n’hésiteront pas une saint-sifri de seconde à le retirer de l’école deux semaines pour partir dans le Sud cet hiver, quand ça coûtera moins cher, après la semaine de relâche.

Un enseignant, ça vient souvent avec la fibre du «je peux faire un peu plus pour le petit Jimmy». Le petit Jimmy qui a de la misère avec son compas, ses excrétas et la garde partagée. Et qui voit parfois ses copains partir à la fermette parce que la prof de la classe d’à côté fait des sorties en cachette, le cœur trop lourd d’en priver ses élèves. Cette prof qu’il a vue fondre en larmes, dans le couloir après la classe, l’autre soir.

Pour faire valoir leurs droits, nos enseignants se font d’abord violence. Ils coupent techniquement dans leur temps, mais surtout dans leur élan naturel. Leur vocation.

Ça fait que quand vous les croiserez à piqueter, les cannes gelées en décembre, un peu d’appui, un battement de narines ou un coup de klaxon, rien qu’un petit, là, ben ça serait déjà ça de pris.

La bise.

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