Blanche-Ville

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 24, direction ouest. Vendredi. Il est 17 h 35.

La file s’allonge à l’arrêt. Le trottoir est encore encombré par la neige tombée en lourdes bordées au cours des derniers jours. La ville est presque monochrome. Il fait pâle, il fait gris sous ce ciel assombri. Il fait presque chagrin.

C’est peut-être ce manque flagrant de couleurs qui, au-delà du froid, de la slush et des rafales de vent glacé, rend l’hiver parfois austère.

Le fait que durant les jours sans soleil, nos paysages urbains ressemblent à de vieilles photos d’archive.

Après plusieurs semaines de ce régime, je repense systématiquement à un conte que me racontait ma mère. Il s’intitulait Blanche-Ville et relatait l’histoire d’un petit village auquel un méchant bonhomme avait volé toutes ses couleurs. Les citoyens y vivaient, un peu tristement, en noir et blanc, jusqu’au jour où un brave paysan ramena (grâce à je ne me souviens plus trop quoi) le doré du blé, le bleu du ciel et le pourpre des couchers de soleil.

L’autobus se fait attendre.Je remarque autour de moi que, de toute évidence, je ne suis pas la seule à être gelée et à afficher un teint livide. Les usagers piétinent sur place et soufflent dans leurs mains. Pour revendiquer le droit aux couleurs, plusieurs d’entre eux arborent des écharpes rouge pompier, des mitaines bleu acier ou des manteaux jaune citron.

Ces teintes saturées viennent s’imposer en touches impertinentes sur ce tableau qui nous sert de toile de fond. Comme si des oiseaux tropicaux s’étaient trompés de direction durant leur migration.

Et comme si l’œuvre de Miró venait de se poser sur celle de Jean Paul Lemieux.