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Visite d’un nouveau foyer de la DPJ pensé par et pour les adolescentes

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Photo: Josie Desmarais/Métro

Depuis la fin novembre, un immeuble à logements de Montréal abrite un foyer pensé par des adolescentes et destiné à des adolescentes. Une première pour la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de Montréal.

Dans le petit salon aménagé au sous-sol, Métro rencontre deux adolescentes ayant pris part au projet, Pauline*, 16 ans, et Régina*, 14 ans. Avec d’autres, elles ont imaginé l’aménagement du foyer. Celui-ci ressemble à n’importe quel logement montréalais, sauf que sept adolescentes y habitent, sous la supervision d’intervenants de la DPJ.

«Il y a un plus grand salon en haut avec une autre télé, si, admettons, c’est pas tout le monde qui s’entend sur quoi écouter», lance en riant Pauline, assise en indien sur son fauteuil.

Dans la pièce adjacente, on retrouve un petit «loft». «Ça sert de pratique à une des filles qui va bientôt partir en appartement», décrit Régina, assise sur un «bean bag» devant Pauline.

Face au manque de places, la DPJ a ouvert les portes de cette nouvelle ressource. Quatre jeunes, dont Pauline et Régina, ont pris part à sa conception, de la mise en chantier jusqu’à l’ouverture, incluant le choix des meubles et de la peinture. Pour relever ce défi, Pauline et Régina se sont mises à la place des filles qui allaient occuper l’espace.

«La nouvelle vision, c’est de donner l’occasion aux filles qui seraient habituellement au centre de réadaptation de vivre dans un milieu plus normal. On met les conditions en place pour les garder le plus possible dans un environnement de communauté», explique la chef de service au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal (CIUSSS-du-Centre-Sud), Stéphanie Guillemette.

Les deux jeunes filles ont aussi été impliquées dans le fonctionnement du foyer. Elles n’ont pas hésité à modifier les règles qui, à leurs yeux, n’étaient pas pertinentes. Régina cite l’exemple des «échelons» pour avoir droit à certains privilèges. «À la maison, t’as pas ça, des grades comme ça. C’est pas nécessaire», juge-t-elle.

Pauline et elle ont donc recommandé de changer la manière de procéder. Les intervenants de la DPJ ciblent plutôt des défis précis pour chacune des locataires. «Pour certaines, mettre leur réveil-matin et se lever à l’heure, c’est un défi. Pour d’autres, non», illustre Mme Guillemette. Une fois le but établi, l’intervenant et l’adolescente fixent un délai pour atteindre l’objectif et avoir droit aux privilèges.

Si c’était à refaire, les deux adolescentes ayant participé à ce projet de foyer unique n’hésiteraient pas à se lancer de nouveau dans l’aventure. «On a appris beaucoup de choses qui ensemble forment un grand tout. Ça prend beaucoup d’organisation pour que tout le monde soit sur la même page», reconnaît Pauline.

Son expérience lui a également ouvert les yeux sur des métiers qu’elle ne connaissait pas, car elles ont pu côtoyer beaucoup des professionnels dans le processus. Ce qui aurait pu être intimidant s’est plutôt avéré enrichissant. «On sentait qu’on pouvait donner notre opinion sans être jugées», ajoute-t-elle.

«Les gens pensent que, parce qu’on est en centre ou en foyer, ça va pas super bien. Oui, il y a du négatif, mais quand tu sors, tu ressors avec des apprentissages et ça montre qu’il y a aussi du positif. J’aurais jamais pensé participer à un projet comme ça. Mon séjour va être marqué par ça.» – Régina

Alors que la discussion plus «formelle» s’estompe, les deux adolescentes montent les escaliers pour faire visiter à Métro les autres étages.

Passage rapide devant le deuxième salon et la salle de bain pour se retrouver dans une pièce comportant une bibliothèque qui se remplit tranquillement, une guitare, un ordinateur et un chevalet. «Ça, c’est la salle de ‘’chilling’’», précise Régina.

Tout près, il y a la grande cuisine inondée de lumière naturelle. À la suggestion des filles, la pièce a été complètement mise au goût du jour.

Une troisième fille apparaît dans le corridor. «Est-ce que tu accepterais de nous faire visiter ta chambre?», lui demande Mme Guillemette. Avec joie, l’adolescente nous conduit, au deuxième étage, vers la pièce qu’elle partage avec une autre fille.

«C’est celui-là, mon côté», sourit-elle, très fière, en pointant le côté au mur fuchsia tapissé de photos et au lit couvert de peluches et de coussins. «On a chacune notre côté et notre garde-robe!»

Nouvelle initiative
C’est le chercheur Martin Goyette, de l’École nationale d’administration publique qui propose d’impliquer des jeunes dans la conception du foyer. Il est d’avis qu’en protection de la jeunesse, pour mieux prendre en cours la réalité de ces jeunes, il faut aller chercher leur point de vue, à la base.

«Il faut aller vers une plus grande participation des jeunes dans l’ensemble du processus dans l’implantation des interventions: consulter les jeunes pour comprendre leurs besoins, mais aussi reconnaître leurs compétences et avoir une meilleure reconnaissance de leur point de vue dans l’évaluation des services et de leur implantation», décrit le chercheur.

Il estime que ce nouveau foyer s’inscrit dans ce qu’il juge être un mouvement général très «porteur», celui de s’appuyer sur les principaux intéressés.

«Les recherches montrent que la participation des jeunes dans ce type de projets augmente leur confiance en soi, mais les aide aussi dans leur transition à l’âge adulte. C’est assez clair.» – Martin Goyette, chercheur à l’ENAP

«On est dans une pratique qui s’en va vers la participation des usagers. Si on s’en va dans une nouvelle vision de l’intervention, c’est le projet parfait pour tout de suite impliquer nos filles», mentionne pour sa part Stéphanie Guillemette.

À savoir si d’autres foyers utilisant cette vision pourraient voir le jour, elle souligne que rien n’est décidé pour l’instant, mais que la porte n’est pas complètement fermée.

«Présentement, on appelle ça un projet de démonstration. On veut voir si ce qu’on met en place fonctionne bien, mais effectivement, ça risque de changer les pratiques ailleurs aussi», admet-elle, évoquant au passage qu’un chercheur viendra éventuellement sur place pour constater ce qui est fait.

Pour leur part, les jeunes filles ne cachent pas leur fierté d’avoir participé à ce projet. «On est les premiers jeunes à avoir fait ça, c’est pas rien», note Régina.

Pauline et elle espèrent que d’autres auront la même possibilité.

* Prénoms fictifs

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