Discrimination raciale: craintes et silence à la Ville de Montréal
Des employés de la Ville de Montréal hésitent à dénoncer la discrimination raciale qu’ils affirment avoir subie dans le cadre de leur travail par crainte de représailles, a appris Métro. Les plaintes déposées ne représenteraient ainsi que la pointe de l’iceberg.
L’an dernier, la Ville de Montréal, qui compte plus de 28 000 employés, a procédé à l’affichage de 3946 postes, selon le dernier rapport annuel de la Commission de la fonction publique de Montréal (CFPM).
L’organisme, qui est responsable du traitement des plaintes reliées au processus d’embauche et de gestion de la main-d’oeuvre à la Ville, a traité 44 plaintes l’an dernier. De ce nombre, 12 ont mené à une enquête approfondie concernant 19 allégations.
Parmi ces allégations, une seule concernait un motif de discrimination raciale. La CFPM l’a rejetée, jugeant celle-ci «non fondée».
À la demande de Métro, l’organisme a envoyé la liste des plaintes qu’elle a déclarées «non-recevables» en 2017, 2018 et 2019. Chaque année, elle rejette une ou deux plaintes pour discrimination raciale.
La crainte de représailles
Selon plusieurs sources bien au fait du dossier, la quasi-absence de plaintes traitées pour discrimination raciale à la Ville ne représente pas du tout la réalité sur le terrain, alors même que le nombre d’employés municipaux issus des minorités visibles est à la hausse depuis quelques années.
«Quand on soulève le racisme, il y a beaucoup de personnes qui subissent des pressions, des risques de représailles. Donc beaucoup de personnes n’en parlent pas», soulève à Métro le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Niemi.
«On m’a demandé de me désister de ce poste»
Certains employés de la Ville ayant subi de la discrimination raciale ont toutefois accepté de se confier à Métro. C’est le cas de David*. Après avoir travaillé pendant environ 10 ans pour la Ville à titre d’employé temporaire, l’homme d’origine africaine a postulé pour un poste permanent mieux rémunéré. Ayant les qualifications requises, il reçoit un appel pour une entrevue d’embauche au poste convoité.
«C’est là que, dès le début, je me suis senti comme si je n’étais pas le bienvenu. On m’a demandé de me désister de ce poste», relate-t-il en entrevue. Il avait pourtant réussi «tous les examens» pour accéder à cet emploi. Il refuse donc de laisser passer cette opportunité et entame son nouveau travail au début du mois de mars. Or, quelques mois plus tard, il est congédié, juste avant la fin de sa période de probation. Il se retrouve depuis au chômage, forcé de postuler «pour des postes inférieurs et temporaires» à la Ville.
Malgré sa frustration, il hésite à déposer une plainte pour discrimination raciale contre la Ville de Montréal.
«Ils ont peur pour leur emploi. Ils doivent mettre du pain sur la table», constate Karlo-Joseph Camille. Ce dernier a travaillé pendant 11 ans à la Ville à titre de commis de bureau. Après avoir été mis à la porte en 2013, il a porté plainte pour discrimination raciale, avant de se tourner vers les tribunaux, en vain. M. Camille, dont la demande devant la Cour supérieure du Québec a été rejetée en 2017, est maintenant gardien de sécurité.
Peur du Contrôleur général
Dans un rapport émis cet été au terme d’une vaste consultation publique sur le racisme et la discrimination systémiques, l’Office de consultation publique de Montréal souligne d’ailleurs l’importance de «rétablir la confiance» dans le processus de traitement des plaintes des employés de la Ville.
Malgré la présence de la CFPM – une entité neutre – plusieurs employés s’inquiètent des interventions de plus en plus fréquentes du contrôleur général de la Ville dans des dossiers portant sur des allégations de racisme à la Ville. Ils craignent, en quelque sorte, de faire l’objet d’une enquête par leur propre employeur, et d’en subir les conséquences, expliquent plusieurs sources consultées par Métro.
D’ailleurs, le contrôleur général a récemment été montré du doigt pour son enquête dans une affaire concernant un employé de la Société du parc Jean-Drapeau. La dimension raciale de l’enquête aurait été écartée du mandat, alors que c’était au coeur de la plainte.
«On voit très peu de plaintes parce qu’ils ont peur», affirme lui aussi le fondateur de Montréal en action, Balarama Holness, en référence aux employés de la Ville victimes de discrimination raciale. C’est lui qui est à l’origine de la pétition qui a mené à la consultation publique de l’OCPM.
Revoir le traitement des plaintes
«Aujourd’hui, on est très conscients que les chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité», soulève Cathy Wong, en référence aux plaintes pour discrimination raciale déposées par des employés de la Ville dans les dernières années. L’élue siège depuis cet été au comité exécutif de la Ville à titre de responsable de la lutte au racisme et à la discrimination.
Elle reconnaît ainsi l’importance de revoir le processus de traitement de celles-ci afin de le rendre plus «crédible» et imputable, une tâche sur laquelle elle entend plancher avec le nouveau commissaire qui viendra l’épauler prochainement.
«À ce moment-là, je pense que la confiance va revenir lentement. Ça va prendre du temps, mais une fois que cette confiance sera rétablie, je pense qu’on aura un meilleur portrait de la situation [de la discrimination raciale à la Ville de Montréal]», ajoute l’élue.
La présidente de la CFPM, Isabelle Chabot, assure pour sa part à Métro qu’elle prévoit offrir une formation à tous ses employés sur le traitement des plaintes reliées à la discrimination raciale.
«Tant que les personnes n’auront pas confiance en ces instances [de la Ville], elles n’oseront pas faire des plaintes.» -Cathy Wong
«Cibles contraignantes»
Face à l’enjeu de la discrimination raciale, Mme Wong souligne la possibilité d’avoir des «cibles contraignantes» en matière d’embauche à la Ville, notamment pour les postes de cadres. Jeudi, Radio-Canada révélait par ailleurs l’intention de Projet Montréal d’avoir plus d’élus issus de la diversité dans ses rangs.
«Je fais un lien très direct avec l’embauche [de minorités visibles] et le climat de travail», conclut Mme Wong.
*Nom fictif