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La politique «à l’ancienne» à l’ère des médias sociaux

Luis Miranda, maire d'Anjou, Peter Malouf, maire de Mont-Royal et Michel Bissonnet, maire de Saint-Léonard font partie d'un groupe très restreint d'élus qui n’ont aucun compte personnel sur Facebook, Instagram ou Twitter. Photo: iStock/hapabapa

L’omniprésence de Facebook, Instagram et compagnie dans notre vie quotidienne ne fait plus aucun doute. Malgré tout, quelques «irréductibles Gaulois» font encore de la politique sans utiliser les médias sociaux. Mais, est-il possible de faire de la politique aujourd’hui sans présence numérique?

«Je n’en vois pas le besoin, lance d’entrée de jeu Luis Miranda, maire de l’Arrondissement d’Anjou. Mes citoyens me connaissent, ça fait 33 ans que je suis élu. […] C’est ma neuvième élection, et j’ai toujours eu des majorités absolues.»

M. Miranda et ses homologues de l’Arrondissement de Saint-Léonard, Michel Bissonnet, et de la Ville de Mont-Royal, Peter Malouf, font partie d’un groupe très restreint de politiciens montréalais —très établis — qui n’ont aucun compte personnel sur Facebook, Instagram ou Twitter.

Luis Miranda, maire de l'arrondissement d'Anjou.
Luis Miranda, maire de l’arrondissement d’Anjou.

Le contact avec les citoyens, M. Miranda l’a «en chair et en os», à son bureau, dans les rues d’Anjou ou au conseil d’arrondissement, souligne-t-il à Métro.

Son administration utilise tout de même la page Facebook de l’Arrondissement pour faire passer des messages d’intérêt public. Son parti a également expérimenté avec une page Facebook lors des dernières élections en 2021. «Une page qui a servi, mais pas plus que ça, souligne-t-il rapidement. On peut voir le nombre de clics, ça n’en valait pas la peine.»

Il y a du bashing qui se fait sur les réseaux sociaux, mais qui ne représente pas la majorité des citoyens. Beaucoup de gens se cachent derrière leur clavier pour dire n’importe quoi.

Luis Miranda, maire de l’Arrondissement d’Anjou

Le maire de la Ville de Mont-Royal, Peter Malouf, privilégie quant à lui «les différents canaux officiels de communication que lui offre la Ville pour communiquer avec la majorité des résidents de la municipalité», mentionne Alain Côté, porte-parole de la Ville, dans une déclaration écrite. Notons tout de même qu’aux dernières élections, la campagne de M. Malouf a acheté des publicités sur Facebook.

Du côté de l’Arrondissement de Saint-Léonard, le maire Michel Bissonnet préfère être présent sur les médias sociaux par le biais des conseillères d’arrondissement, précise son cabinet par courriel.

MM. Malouf et Bissonnet ont tous deux refusé la demande d’entrevue de Métro.

Possible de se faire élire sans médias sociaux, en 2023?

«Ça serait vraiment difficile» pour un nouveau venu de se faire élire aujourd’hui sans médias sociaux, estime Katherine Sullivan, doctorante en science politique à l’Université de Montréal. «Il faudrait avoir une présence absolue dans la communauté», ajoute-t-elle.

Dans le cadre de sa thèse sur l’usage des médias sociaux par les élus locaux, Mme Sullivan a déterminé qu’une part importante des candidats aux élections s’étaient même créé des comptes personnels pour la première fois parce qu’ils voulaient se présenter en politique municipale.

Aux yeux de ces candidats, les médias sociaux étaient une obligation, notamment pour rejoindre les plus jeunes, explique-t-elle. Pour ces jeunes, commenter les enjeux de l’heure en ligne est essentiel pour être «crédible», souligne Mme Sullivan. «Une bonne partie du débat sociétal se passe en ligne, qu’on le veuille ou non.»

La présence en ligne permet aussi à un candidat de faire passer son message dans les secteurs où la couverture médiatique locale est déficiente, selon la doctorante. Elle facilite également le contact avec les citoyens, surtout ceux qui seraient moins à l’aise d’interpeller directement un élu au conseil municipal ou en lui écrivant un courriel.

Des outils complexes à maîtriser

«Ce n’est pas avec les médias sociaux que tu vas gagner une campagne électorale», tranche de son côté Laurence Grondin-Robillard, doctorante et chargée de cours en communication à l’UQAM, qui étudie l’impact sociopolitique des médias sociaux. Un candidat qui a une campagne très forte sur le terrain pourrait très bien se passer d’une présence en ligne, selon elle .

«Il ne faut pas tenir pour acquis que tout le monde est sur les médias sociaux. Encore moins celui que j’ai choisi», avertit-elle.

«Plus on avance dans le temps, plus ça devient complexe, les médias sociaux, explique-t-elle. Chaque plateforme a un certain contenu, avec un certain public.» Au départ, les gens se retrouvaient principalement sur Facebook et sur Twitter, tandis qu’aujourd’hui, la multiplication des plateformes et les nouveaux algorithmes défavorables rendent leur utilisation de moins en moins «rentable» pour un politicien.

Par ailleurs, maintenir une présence en ligne nécessite une attention constante, souligne Mme Grondin-Robillard. Le politicien doit créer constamment du contenu pour engager son audience et générer de l’attention, dans un contexte où ses publications sont en compétition directe avec tout ce qu’on retrouve en ligne.

Quand je vais sur le terrain, je n’ai pas à compétitionner avec une vidéo de danse qui est à côté de ma vidéo à moi.

Laurence Grondin-Robillard, doctorante et chargée de cours en communication à l’UQAM

Malgré tout, l’utilisation des médias sociaux peut également être très avantageuse pour des raisons budgétaires puisque beaucoup moins coûteuse qu’une campagne publicitaire traditionnelle à la radio ou à la télévision, note-t-elle.

Contrôler son image

L’usage des médias sociaux permet aux élus de s’exprimer directement aux citoyens et d’avoir un meilleur contrôle de leur message et de leur image, au lieu de compter sur la visibilité des médias «traditionnels», selon Katherine Sullivan. Une voie de passage qui peut être particulièrement avantageuse pour les candidats plus marginalisés, souvent exclus de l’attention médiatique.

Mais cette utilisation peut être risquée, surtout pour un politicien qui ne maîtrise pas les codes culturels sur les médias sociaux, nuance Laurence Grondin-Robillard. «Publier un tweet alors que tu ne sais pas moindrement comment le formuler correctement, il y a plein de gens qui peuvent venir le critiquer» ou faire dévier le message, illustre-t-elle.

Par ailleurs, le format des médias sociaux — des messages courts avec des mots-clics tendance — encourage les élus à être concis, mais également plus clivants, ajoute Laurence Grondin-Robillard. «Il faut que je sois punché, parce qu’il faut que j’attire l’attention. Si je n’attire pas l’attention, mon message n’est pas en circulation, et je n’ai pas de vues.»

Abandonner les médias sociaux pour se protéger de la haine?

Ne pas avoir de comptes personnels sur les médias sociaux ne le met pas à l’abri de l’augmentation de la haine et du harcèlement en ligne contre les politiciens, assure Luis Miranda.

«Ça rentre pareil, dit le maire de l’Arrondissement d’Anjou. Tout simplement, je ne leur donne pas la page pour le faire pour moi.»

Plusieurs maires ou mairesses canadiens ont quitté les médias sociaux pour éviter les insultes, note Katherine Sullivan. Une décision compréhensible, mais qui peut être une arme à double tranchant, selon elle. «Derrière la colère, il y a un vrai enjeu qu’il faut adresser.»

Si on essaye de se protéger en limitant qui veut commenter […], tout ce qu’on va entendre, c’est ce qu’on veut. Mais ce n’est pas ce qu’il nous faut en communauté, se faire flatter dans le sens du poil.

Katherine Sullivan, doctorante en science politique à l’Université de Montréal

Pour se protéger davantage sans délaisser complètement les médias sociaux, les politiciens auraient avantage à éviter de partager des scènes de leur vie personnelle, selon Laurence Grondin-Robillard. «Ça ouvre la porte à des attaques personnelles contre ta famille et tes enfants.»

Les politiciennes davantage victimes

Les deux expertes consultées par Métro sont catégoriques: les politiciennes sont davantage victimes d’insultes et de campagnes de désinformation que leurs homologues masculins sur les médias sociaux, même si elles sont plus nombreuses à les utiliser activement. On tente de «remettre les femmes à leur place», surtout les femmes de pouvoir, souligne Katherine Sullivan.

«Il y a plus d’attaques envers les femmes, et elles sont plus violentes», résume Laurence Grondin-Robillard. C’est encore pire pour les femmes qui viennent de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, ajoute-t-elle.

Manque de transparence, fausses nouvelles, chambre d’écho, manque de redistribution pour les médias d’information; les critiques à l’encontre des médias sociaux fusent de toute part. Laurence Grondin-Robillard s’attend donc à voir de plus en plus d’élus abandonner ces plateformes pour des raisons politiques, comme une «prise de position».

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