Partir en courant
Ligne 80, direction sud. Nous sommes mercredi, il est 15h45.
Il monte dans l’autobus, encore essoufflé.
Il a eu chaud dans son t-shirt jaune citron, sur lequel on peut lire «Marathon de Beyrouth 2012».
Aujourd’hui, il a dû faire un circuit sur la montagne ou dans le parc Jeanne-Mance puisqu’il attrape le bus dans lequel je me trouve sur l’avenue du Parc. À cet arrêt, devant la statue de l’ange qui se tient sur la pointe d’un seul pied, sur une grosse boule. Une chance, il a des ailes pour compenser cette posture peu confortable qu’il tient depuis près d’un siècle.
Le coureur, lui, est sur ses deux pieds depuis peut-être une quarantaine d’années. Les cheveux noirs, le teint un peu olive, grand et l’air franchement en forme. Il est peut-être Libanais d’origine? Ou est-ce seulement ce que je lis sur son son t-shirt qui influence ma perception?
Je me demande s’il a participé à cette course «beyrouthienne» en tant que visiteur, ou s’il vivait encore là-bas il y a deux ans? Si c’est le cas, qu’est-ce qui a motivé cet homme à enjamber les continents et les océans pour venir fouler le mont Royal?
L’idée de l’exil m’impressionne. Je suis totalement admirative face aux êtres qui changent de vie. Qui ont ce courage. Je parle d’abord de ceux qui le font par choix. Qui croient en un meilleur ailleurs et qui osent risquer la déception ou le bonheur.
Je pense aussi, bien sûr, à ceux qui font ce bond par obligation. Pour qui c’est une question de survie. L’élan est peut-être alors plus puissant, mais certainement pas moins déchirant. Au contraire même.
Pour revenir maintenant au sujet qui nous intéresse, soit celui qui a mis ses souliers de course ce matin-là, oui, il est peut-être né ici. Mais pour les besoins de cette réflexion, disons qu’il est d’ailleurs.
Je me dis alors qu’il est plus qu’un marathonien et j’espère qu’à la ligne d’arrivée, il s’est senti heureux. Que le sentiment de tous les possibles lui a gonflé la poitrine, que ce souffle lui donne des ailes et que ces dernières réussissent à l’alléger, les jours où il sent qu’il perd pied sur ce globe, qui peut être aussi magnifique que déstabilisant.