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Fredrik Gertten: «Les gens en auto devraient aimer les vélos»

Photo: Janice D’Avila/collaboration spéciale

Faire un film pour dire «à quel point le vélo est fantastique» aurait été ennuyant, croit le journaliste et cinéaste suédois Fredrik Gertten (Bananas!). C’est pour ça qu’il s’est attaqué, dans son plus récent documentaire – Bikes vs Cars – aux raisons qui ont fait des villes des lieux sous l’emprise de l’automobile. Une réalité qui serait toutefois en train de changer.

Plusieurs personnes pensent – et la publicité veut qu’on pense – que conduire une voiture est synonyme de liberté. Vous pensez le contraire. Pourquoi?
L’automobile a toujours été un symbole très fort de la liberté individuelle. Mais c’est étrange, puisque 95% des automobilistes sont pris dans le trafic, et non sur les routes des montagnes qu’on voit dans les pubs. Ils ne sont pas libres.

Mais pour plusieurs, maintenant, c’est le vélo qui est synonyme de liberté. Si tu prends ton vélo, tu vas arriver où tu veux, et à l’heure. C’est un changement de paradigme dans plusieurs villes. Le vélo est beaucoup plus flexible. Il est adopté par des PDG, des avocats, des journalistes, etc. Certains d’entre eux conduisent même des vélos qui sont très chers! Ils pourraient s’acheter des voitures, mais ils ne veulent pas.

Pourtant, beaucoup de gens sont encore attachés à leur auto, et les ventes de voitures continuent de croître. Pourquoi?
D’abord, avec les autos, c’est comme si on devenait ce qu’on conduit. Si je conduis une Ferrari, je suis un «type Ferrari». L’industrie de l’automobile a très bien réussi à vendre cette idée.

De l’autre côté, mon film parle beaucoup d’aménagement urbain et je mets en lumière le fait que certaines villes ont perdu le contrôle au profit des lobbys automobiles. Ces forces se sont emparées de la ville et l’ont façonnée à leur manière. Plusieurs villes sont maintenant dépendantes de l’automobile. C’est triste, parce que ce n’est plus une liberté que d’avoir une voiture. Les gens sont forcés d’en avoir parce qu’il n’y a pas d’autre option: le transport collectif n’est pas efficace, il est trop dangereux de prendre son vélo ou on ne peut pas marcher parce que les distances sont trop grandes.

Qu’est-ce que ça prendrait pour convaincre plus de gens de se déplacer en vélo?
Il faut des infrastructures sécuritaires et distinctes pour les vélos. Ça ne devrait pas être un truc macho de se déplacer en vélo. Ça devrait être pour tout le monde: pour les enfants, les femmes…

Vous pouvez le constater dans des villes comme Copenhague, Amsterdam ou ma ville, Malmö, où tout le monde se déplace à vélo. Bien sûr, c’est aussi une question de priorités. Les villes doivent prendre la décision d’être des villes «amies des vélos». Alors elles vont faire en sorte que ça devienne plus facile.

«Je ne suis pas contre ceux qui ont besoin de leur voiture. Je suis pour les villes où on peut vivre heureux. Je ne crois pas que ce soit une bonne vie que de passer trois heures par jour dans le trafic. C’est juste ennuyant!» – Fredrik Gertten

Quand il était maire de Toronto, Rob Ford a fait détruire des voies cyclables. Cela a coûté plus de trois fois le prix de leur création. Qu’est-ce que ça prouve?
Les gens sont forcés de se déplacer en auto et ils sont pris dans de très gros bouchons. Il existe un électorat très frustré et malheureux de ça. Si vous voulez gagner une élection, vous vous demandez où aller chercher des votes. Rob Ford est brillant. Il s’est adressé aux automobilistes frustrés et leur a donné quelque chose. Mais il ne les a jamais aidés à se sortir du trafic!

Si tu passes ton temps à attendre dans les bouchons et que tu vois que les gens à vélo se déplacent plus vite que toi, ça rend ta journée encore pire.

Je pense qu’il y a plusieurs autres politiciens comme Rob Ford qui jouent cette carte. Mais ça devrait être le contraire. Chaque personne qui pourrait conduire une auto, mais qui commence à faire du vélo, libère une place sur la rue. Donc, les gens qui n’ont pas le choix de se déplacer en auto devraient aimer les cyclistes et ceux qui prennent le transport en commun. Leur ennemi, ce sont les autres voitures. C’est un conflit d’espace.

Parfois, les pistes cyclables ne suffisent pas à assurer la sécurité des cyclistes, comme l’a démontré Métro dans un précédent article. Qu’est-ce qu’il faut faire de plus?
Je ne suis pas un expert de la question, mais les infrastructures doivent suivre le fait que de plus en plus de vélos circulent sur les rues. Il faut des meilleurs pistes cyclables, avec une meilleure séparation, et même, une séparation entre les vitesses. À Copenhague, les pistes cyclables ont une voie pour le trafic lent et une pour ceux qui sont plus rapides, comme pour les voitures.

Aussi, à Toronto par exemple, il y a beaucoup de nids-de-poule sur les voies cyclables. C’est très dangereux. Il faut de meilleures rues. Les villes doivent mettre le vélo plus haut dans leur liste de priorité. Parce que c’est plus important que la piste cyclable soit en bon état que les voies pour les voitures. Les autos survivront! Elles ne sont pas aussi vulnérables que les vélos.

«Ce n’est pas une question d’être à gauche ou à droite. La mobilité ne se mesure pas comme ça. Tout le monde qui réfléchit se rend compte qu’il faut faire quelque chose [contre le trafic]. Et c’est de faire en sorte que les gens utilisent plus le transport en commun ou la bicyclette.» – Fredrik Gertten

Pour qui avez vous fait ce film?
Ce documentaire sera diffusé à la télé publique dans plusieurs pays européens, alors il sera vu par le «citoyen moyen» de différentes origines. Mais aussi… Les gens sont tous des citoyens. Ils ne sont pas qu’une chose; ils ne sont pas que cyclistes ou automobilistes ou piétons. Ils sont tout ça. Ce film ne dit pas que les gens doivent vendre leur auto. Je crois que la plupart des gens, même s’ils sont dépendants à la voiture, préfèrent vivre dans une ville à l’échelle humaine, où il est possible de circuler librement sur les rues.

Nous avons un système qui rend les gens malheureux. Peut-être que l’auto a déjà été une très bonne option, mais ça ne l’est plus parce qu’il y en a trop, maintenant. Et la population mondiale croit. Aucune ville ne pourrait supporter autant d’autos que de citoyens.

D’autre part, ce n’est pas une question d’être à gauche ou à droite politiquement. La mobilité ne se calcule pas de cette façon. Nous sommes rendus au point où chaque personne qui réfléchit se rend compte qu’il faut faire quelque chose contre le trafic. Et la meilleure chose à faire sera d’éloigner les gens des voitures et de les encourager à utiliser le vélo ou le transport en commun.

Certaines projections de votre film, à Montréal, seront accompagnées de discussions avec le service de police et des organismes qui œuvrent autour du vélo. C’est aussi le cas dans plusieurs villes où le film est diffusé. Est-ce que vous vous attendiez à un tel engouement?
Ouais. Partout où je vais pour parler de mon film, les gens débutent une conversation à propos de leur ville. J’ai été en Irlande, en Espagne, aux États-Unis, au Mexique… Et même si le film ne parle pas directement de Montréal, il est aussi à propos de votre ville. Ici, en Suède, des professionnels de l’aménagement et des politiciens l’écoutent ensemble et en discutent. C’est aussi à propos de changer les mentalités de ces professionnels. Souvent, dans les villes, les problèmes liés aux voitures semblent plus importants. Tout le monde pense en termes d’autos, alors qu’il faudrait penser aux gens. J’espère que mon film va faire en sorte de changer les mentalités un peu.

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