Vie et mort d’un homme bon
Pops – Emmett Johns pour les intimes – est un homme qui a changé le monde. En y allant morceau par morceau, pièce par pièce, p’tit bout par p’tit bout. Ce faisant, avec persévérance et minutie, il a érigé un formidable monument en hommage à l’humain. Le père Emmett Johns, un être sensible s’il en est, était un grand artiste.
À l’aube de la soixantaine, à peine sorti d’une profonde dépression nerveuse et mis de côté par une Église catholique à laquelle il avait pourtant consacré toute sa vie jusque-là, Pops a décidé de répliquer à l’ingratitude par la bonté.
Soixante ans. Ici, l’âge n’est pas un mince détail. Au moment où la plupart pensent à leur retraite, lui a décidé de se lancer dans un projet sans précédent. En choisissant d’aller à la rencontre des jeunes de la rue, ceux et celles qu’on a plutôt tendance à éviter quand on les croise sur son chemin. Des gens qui n’attirent vraiment pas la sympathie, c’est le moins qu’on puisse dire. Un groupe de marginalisés à qui on reproche de causer du souci à leurs parents, de ne pas être restés à l’école plus longtemps, de passer leurs journées assis sur des couvertures crottées plutôt que d’aller travailler, et plein d’autres affaires laides… Des tout-croches qui se font remettre sous le nez mille et une patentes sans trop fouiller le fond de la mare dans laquelle ils se sont enlisés. C’est peut-être aussi bien comme ça…
Je disais donc que Pops était un artiste. Je suis même prêt à le répéter : un artiste dans toute l’acception du terme. Parce que les artistes sont tous un peu fous, et il faut clairement être fou braque pour aller à la banque afin d’emprunter les 10 000$ nécessaires à l’achat d’une roulotte qui sillonnera les rues le soir venu pour nourrir des kids qui devraient sagement être couchés à la maison. En faisant tout cela au nom du Bon Dieu par-dessus le marché. On en a déjà enfermés pour bien moins que ça…
Au menu de la roulotte de Pops, il y avait des hot-dogs et du café. C’était il y a 30 ans, heureusement. Aujourd’hui, on lui ferait probablement un procès sans appel pour avoir servi de la malbouffe et des boissons toxiques à de jeunes démunis. Pour lui, l’idée n’était pas de se demander quelle était la valeur nutritive de ce qu’il mettait dans le ventre de ses invités du jour (ou de la nuit) mais bien de les bourrer d’amour, d’écoute et de respect. Les plus grandes carences de ces jeunes étaient beaucoup plus affectives qu’alimentaires. Et Pops le savait plus que quiconque.
Il existe, dans notre monde, diverses manières de faire du bien. Pour certaines entreprises, ça consiste à débouler devant les caméras à la fin d’un téléthon avec un chèque format béluga plein de signes de piasse qui déclenchera un torrent de larmes. D’autres vont organiser des bazars, des collectes et des activités qui vont brasser les cabanes et les cœurs. Et c’est parfait: rien n’est jamais de trop quand vient le temps de combattre la souffrance.
Le travail du père Emmett Johns auprès des jeunes de la rue aura été différent. À partir d’éléments bruts, il aura fait les plus belles des œuvres d’art.
L’art peut changer le monde. La contribution d’artistes comme le père Emmett Johns est exceptionnelle. On le remercie pour les belles sculptures qu’il aura laissées derrière lui.