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La presse écrite réclame un peu d'amour

Photo: Archives Métro
Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

Les artisans de la presse écrite, dont l’industrie est en crise depuis quelques années, ont profité de la Saint-Valentin mercredi pour demander un peu d’amour au gouvernement fédéral et à la population en général.

À l’approche du dépôt du budget fédéral, la présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), Pascale St-Onge, s’est rendue à Ottawa pour y présenter la lettre réclamant un soutien urgent pour la presse écrite préparée par plusieurs personnalités publiques et organismes en novembre dernier et signée depuis par environ 7000 Québécois.

«Nous sommes rendus à l’heure de considérer l’information comme un service public essentiel autant que l’éducation et la santé», a déclaré Mme St-Onge en conférence de presse.

À ses côtés, le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Stéphane Giroux, a fait valoir que la crise a non seulement réduit le nombre de journalistes oeuvrant à la couverture des événements dans les grands médias nationaux, mais a complètement privé d’information des localités en région.

«Nous arrivons à un point de non-retour; nous entendons déjà parler d’administrations municipales dans des régions éloignées qui se plaignent qu’il n’y a plus de médias écrits dans leur région pour faire passer des messages, que ce soit des élus, des organismes communautaires», a-t-il déploré.

La crise est facilement mesurable: entre 2009 et 2015, au Québec, environ 43 pour cent des emplois liés à la presse écrite ont disparu. À l’échelle canadienne, 27 quotidiens et 275 hebdomadaires ont fermé leurs portes, une hécatombe à laquelle il faut ajouter plus d’une trentaine de quotidiens et d’hebdomadaires qui viennent d’être fermés ou sont sur le point de l’être à l’issue d’une transaction majeure survenue tout juste avant les Fêtes entre les conglomérats Postmedia et Torstar.

Les géants du web

La crise de la presse écrite découle principalement du fait que les grandes plateformes numériques telles que Google et Facebook accaparent désormais l’écrasante majorité des revenus publicitaires. Ceux-ci diffusent notamment des liens vers des contenus des médias écrits sans payer pour ces contenus. Or, ces revenus publicitaires sont requis par les médias pour produire une information professionnelle.

Parallèlement, ces géants du web bénéficient d’un traitement fiscal qui les avantage par rapport au reste de l’industrie puisqu’ils échappent à la taxation canadienne.

«Ce sont des entreprises américaines qui, pour le moment, refusent de payer leurs taxes et de se soumettre aux lois fiscales canadiennes», s’insurge Pascale St-Onge qui martèle que la situation «est tout simplement intenable à long terme».

Les revenus que le gouvernement fédéral refuse d’aller chercher pour des raisons qu’elle s’explique mal devraient «retourner dans le trésor public, servir à la culture, l’information et les services publics».

Mme St-Onge note que «partout à travers le monde, les pays agissent face à ces situations et il est temps que le Canada emboîte le pas», selon elle.

La syndicaliste évoque des scénarios qui ne sont guère rassurants si la société canadienne laisse s’étioler le journalisme professionnel: «Plusieurs régions constatent les effets de la disparition des journalistes dans leurs communautés. (…) Qu’est-ce qu’on aura à la place? La nature a horreur du vide, on le constate déjà: les fausses nouvelles, les théories du complot, la propagande.»

270 millions $

L’objectif de la visite dans la capitale fédérale était de maintenir la pression sur le gouvernement Trudeau pour que le soutien promis se concrétise dans le prochain budget, qui sera déposé le 27 février.

Pascale St-Onge souligne qu’une telle démarche venant à la fois des syndicats, de la Fédération professionnelle des journalistes et des patrons de presse n’est pas faite «à la légère et ce n’est de gaieté de coeur».

«Depuis la naissance de la presse écrite, on a toujours compté sur nos propres moyens pour survivre», a-t-elle dit.

La vice-présidente de la CSN, Caroline Senneville, qui prenait place à ses côtés, a tenu à préciser que l’enjeu allait bien au-delà d’une décision d’affaires.

«La presse n’est pas une business, une entreprise comme une autre: le droit à l’information, c’est un droit qui est inscrit dans les chartes canadienne, québécoise, dans les déclarations universelles des droits de l’homme», a souligné Mme Senneville, qui a ainsi situé le rôle de l’information: «La démocratie fonctionne parce que les enjeux publics sont discutés et mis sur la place publique; différents points de vue se confrontent et c’est ça un débat.»

Une des principales demandes formulées par l’ensemble de l’industrie est l’instauration d’un crédit d’impôt de 30 pour cent sur la masse salariale des entreprises de presse, ce qui représente une dépense annuelle de 270 millions $, et ce, pour quelques années. Une telle mesure viserait à renforcer le journalisme professionnel et peut-être même permettre à certains médias de réembaucher du personnel mis à pied ou à des intérêts locaux de réintroduire des publications dans les régions où celles-ci ont complètement disparu.

Accueil froid de Mélanie Joly

La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, n’a pas rencontré les représentants des médias, expliquant qu’elle les avait déjà rencontrés à cinq reprises au cours de la dernière année.

«J’ai eu plusieurs bonnes discussions constructives. On reconnaît que les médias font face à des défis importants, mais en même temps, en tant que gouvernement, toute forme d’intervention doit toujours être faite dans l’esprit de respecter l’indépendance journalistique», a-t-elle affirmé dans les corridors des Communes.

«J’ai toujours dit depuis le début que, pour nous, les médias locaux sont très importants, (…) qu’on allait être prêts à soutenir la transition vers le numérique, mais qu’on n’allait pas faire en sorte de sauver des modèles d’affaires qui ne sont plus viables.»

Elle a poursuivi en invoquant le réinvestissement de son gouvernement dans la Société Radio-Canada. «Il y a des emplois qui ont été créés aux Îles-de-la-Madeleine, dans le sud de l’Ontario. Il y plus de journalistes qui ont été engagés. On voit ça comme une bonne nouvelle», a-t-elle affirmé, tout en se disant préoccupée par les pertes d’emplois dans le secteur des communications et «par l’impact que ces coupures peuvent avoir sur les familles».

En chambre, le premier ministre Justin Trudeau est demeuré vague quant à ses intentions lorsqu’interrogé par le néo-démocrate Pierre Nantel, invoquant à son tour le réinvestissement à Radio-Canada et la modernisation du Fonds pour les périodiques, tout en reconnaissant que c’était insuffisant.

«Nous savons qu’il y a plus à faire et nous allons continuer de travailler avec les organisations pour assurer une presse libre, indépendante et saine», a-t-il dit.

Offensive de charme provinciale

Outre la démarche à Ottawa, plusieurs journalistes de la presse écrite de Montréal se sont rendus à l’UQÀM pour répondre aux questions de la population, rencontre qui devait permettre de faire un état des lieux sur la crise des médias au Québec et au Canada.

À Québec, plusieurs employés du quotidien Le Soleil se sont faits «camelot d’un jour» sur le parvis de l’Église Saint-Roch, pour aller à la rencontre de leurs concitoyens. Ils ont également organisé un vox pop pour connaître leurs habitudes en matière d’information et distribuer du même coup des informations sur la crise des médias.

À Saguenay, ce sont des employés du Quotidien qui se sont portés à la rencontre d’étudiants à l’UQAC, afin de répondre à leurs questions.

Leurs collègues du Nouvelliste de Trois-Rivières, eux, devaient se déployer sur un coin de rue achalandé du centre-ville ainsi qu’au centre commercial des Rivières pour faire le même travail de sensibilisation et d’information.

L’Abitibi n’était pas de reste, le journaliste de La Frontière et du Citoyen, Thierry De Noncourt, ayant été délégué à l’UQAT afin d’y rencontrer étudiants et citoyens.

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