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Un ancien nazi vivant aux États-Unis est déporté vers l’Allemagne

Suzanne DeChillo / The Associated Press Photo: Suzanne DeChillo / The Associated Press
Michael R. Sisak, David Rising et Randy Herschaft - The Associated Press

BERLIN — Le dernier nazi soupçonné de crimes de guerre devant être expulsé des États-Unis a été emmené de son domicile de New York et déporté vers l’Allemagne tôt mardi matin, a indiqué la Maison-Blanche.

Jakiw Palij avait tout d’abord été dénoncé aux autorités canadiennes en 1989. La déportation de l’ancien gardien de camp de concentration de 95 ans survient donc 25 ans après que les enquêteurs l’eurent confronté à ses agissements pendant la Deuxième Guerre mondiale. M. Palij avait admis avoir menti pour entrer aux États-Unis, en prétendant avoir travaillé comme ouvrier et fermier pendant le conflit.

M. Palij a vécu tranquillement aux États-Unis pendant des années, en tant que dessinateur puis en tant que retraité. Mais il y a de cela une trentaine d’années, des enquêteurs ont trouvé son nom sur une vieille liste nazie et un ancien gardien a révélé qu’il «vivait quelque part en Amérique».

M. Palij a déclaré aux enquêteurs du département de la Justice qui se sont présentés à sa porte en 1993: «Je n’aurais jamais reçu mon visa si j’avais dit la vérité. Tout le monde a menti».

Un juge lui a retiré sa citoyenneté en 2003 pour «participation à des actes contre des civils juifs», pendant qu’il travaillait comme garde au camp de Trawniki, en Pologne occupée par les nazis. Son expulsion a été ordonnée l’année suivante.

Mais parce que l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine et d’autres pays ont refusé de l’accueillir, il a continué à vivre dans l’incertitude dans la maison de deux étages en briques rouges du quartier de Queens qu’il partageait avec sa femme Maria, maintenant âgée de 86 ans. Sa présence ulcérait la communauté juive et de nombreuses manifestations ont été organisées au fil des ans, pendant lesquelles on scandait parfois «votre voisin est un nazi!».

Selon le département de la Justice, M. Palij a servi à Trawniki en 1943; la même année, 6000 prisonniers des camps et des dizaines de milliers d’autres prisonniers détenus en Pologne occupée ont été rassemblés et massacrés. M. Palij a admis avoir servi à Trawniki, mais a nié toute implication dans des crimes de guerre.

La déportation est intervenue après des semaines de négociations diplomatiques. Le nouvel ambassadeur des États-Unis en Allemagne, Richard Grenell, a évoqué des «conversations difficiles» parce que M.Palij n’était pas un citoyen allemand et qu’il était apatride après avoir perdu sa citoyenneté américaine, mais «l’obligation morale (d’accueillir) quelqu’un qui a servi le gouvernement allemand a été acceptée».

M. Palij a atterri mardi à Düsseldorf, une ville de l’ouest de l’Allemagne. Le gouvernement local du comté de Warendorf, près de Münster, a indiqué que M. Palij serait emmené dans un établissement de soins de la ville d’Ahlen.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a déclaré qu’«il n’y a aucune ligne de responsabilité historique», ajoutant dans un commentaire au quotidien allemand Bild que rendre justice en souvenir des atrocités nazies «signifie respecter notre obligation morale envers les victimes et les générations suivantes».

Les procureurs allemands ont déjà déclaré qu’il ne semblait pas y avoir suffisamment de preuves pour accuser M. Palij de crimes de guerre.

Maintenant qu’il est en Allemagne, Efraim Zuroff, le chasseur nazi en chef du Centre Simon Wiesenthal, a déclaré qu’il espérait que les procureurs reviendraient sur l’affaire.

«Trawniki était un camp où les gens étaient entraînés à rassembler et à assassiner les Juifs en Pologne, donc il existe certainement une base pour des poursuites», a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique depuis Jérusalem. Il a ajouté que le département américain de la Justice «a droit à beaucoup de crédit» pour ne pas avoir abandonné le dossier.

«Les efforts déployés par les États-Unis pour faire expulser Palij sont remarquables et je suis très heureux de voir qu’ils ont finalement été couronnés de succès», a dit M. Zuroff.

M. Palij était entré aux États-Unis en 1949 en vertu de la loi sur les personnes déplacées, une loi destinée à aider les réfugiés de l’Europe d’après-guerre.

Il a alors déclaré aux fonctionnaires de l’immigration qu’il travaillait pendant la guerre dans un atelier de menuiserie et une ferme en Pologne occupée par les nazis; dans une autre ferme en Allemagne; et enfin dans une fabrique allemande de tissus d’ameublement. M. Palij avait prétendu n’avoir jamais servi dans l’armée.

En réalité, selon les responsables, il a joué un rôle essentiel dans le programme nazi visant à exterminer les Juifs de Pologne occupée par les Allemands, en tant que garde armé à Trawniki. Selon une plainte du département de la Justice, M. Palij a servi dans une unité qui «a commis des atrocités contre des civils polonais et d’autres», puis dans le tristement célèbre bataillon SS Streibel, «une unité chargée de rassembler et de surveiller des milliers de civils polonais».

Après la guerre, M. Palij a entretenu des liens d’amitié avec d’autres gardes nazis qui, selon le gouvernement, sont venus aux États-Unis sous de faux prétextes. Et dans une coïncidence intéressante, M. Palij et sa femme ont acheté leur maison près de l’aéroport de LaGuardia en 1966 d’un couple juif polonais qui avait survécu à l’Holocauste et n’était pas au courant de son passé.

L’unité spéciale de chasse nazie du département de la Justice a commencé à reconstituer le passé de M. Palij après qu’un ancien garde de Trawniki l’eut dénoncé aux autorités canadiennes en 1989. Les enquêteurs ont demandé à la Russie et à d’autres pays des informations sur M. Palij dès 1990.

Ce n’est qu’après un deuxième entretien en 2001 qu’il a signé un document attestant qu’il avait été garde à Trawniki et membre du bataillon Streibel. M. Palij a suggéré à un moment donné au cours de cet entretien qu’il était menacé de mort s’il refusait de travailler comme garde, en disant «si vous ne vous vous présentez pas, boum-boum».

Bien qu’il soit le dernier suspect nazi dont l’expulsion ait été ordonnée, M. Palij n’est pas pour autant le dernier nazi aux États-Unis.

Depuis 2017, la Pologne sollicite l’extradition de Michael Karkoc, un ancien commandant d’une unité nazie dirigée par des Ukrainiens qui a incendié des villages polonais et tué des civils pendant la guerre. L’homme de 99 ans, qui vit actuellement à Minneapolis, a fait l’objet d’une série de rapports de l’AP en 2013 qui ont amené les procureurs polonais à lancer un mandat d’arrêt à son encontre.

En plus de M. Karkoc, il y en a presque certainement d’autres aux États-Unis qui n’ont pas encore été identifiés ou font l’objet d’une enquête par les autorités. Selon certaines estimations, 10 000 personnes pourraient avoir élu domicile aux États-Unis après la guerre.

Le département de la Justice a entamé des procédures judiciaires contre 137 suspects nazis, dont environ la moitié, soit 67, ont été expulsés ou extradés, ou sont partis volontairement. Parmi les autres, 28 sont décédés alors que leur cas était en instance et neuf ont été expulsés, mais sont morts aux États-Unis, car aucun autre pays n’était disposé à les prendre.

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