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Quand la pub en ligne gâche les surprises de Noël

Matt Rourke / The Associated Press Photo: Matt Rourke/AP

Lisa Clyburn était certaine d’avoir trouvé le cadeau parfait pour son fils de neuf ans: un jeu de logique sur le thème du félin qui ferait appel à sa passion pour les cartes et les chats.

Mais quand la psychologue pour enfants d’Edmonton a sorti son téléphone pour montrer à son fils une vidéo de chat amusante sur Facebook, elle a craint d’avoir, par inadvertance, gâché sa surprise de Noël. En effet, une publicité pour le cadeau qu’elle venait de commander en ligne est apparue sur son fil Facebook, attirant l’attention de son garçon.

«Cela n’aurait pas été sur son radar s’il n’avait pas vu la publicité», a soupiré Mme Clyburn. «Je voulais qu’il n’en revienne pas que maman ait trouvé ce jeu cool que je savais qu’il aimerait.»

De nombreux utilisateurs de médias sociaux affirment avoir été trahis par des publicités en ligne, qui ont gâché des escapades romantiques, des billets de saison et même des bagues de fiançailles. Certains acheteurs sur internet prennent même des précautions en faisant des recherches de cadeaux bidon pour mettre leurs proches sur de fausses pistes à l’approche des Fêtes.

Mais des experts préviennent que les surprises gâchées sont loin d’être le seul enjeu dans ce dossier, puisque les entreprises de haute technologie et les détaillants conçoivent des outils de plus en plus sophistiqués pour cibler les utilisateurs avec des publicités en ligne.

Selon le professeur de marketing David Soberman, de l’Université de Toronto, la collecte d’informations sur les consommateurs afin de les cibler avec des publicités est presque aussi ancienne que l’industrie elle-même. Mais la migration en ligne de cette dernière a fourni aux entreprises une mine d’informations personnelles leur permettant de cibler les consommateurs avec un niveau de précision parfois déstabilisant.

Les entreprises établissent des profils de consommateurs en suivant leurs activités en ligne liées à une adresse IP — un identifiant unique pour chaque ordinateur connecté à internet — et à des fichiers témoins (cookies), qui permettent aux sites web d’enregistrer les visites et les activités d’un utilisateur, a expliqué M. Soberman.

Les annonceurs peuvent également utiliser les données fournies volontairement par les internautes lors de la création d’un profil pour un site web ou une application (nom, âge et emplacement, par exemple). Ainsi, lorsqu’un utilisateur se connecte à son compte sur un nouveau téléphone ou ordinateur, ses habitudes de navigation peuvent être suivies sur plusieurs appareils, a-t-il poursuivi.

Un problème «beaucoup plus vaste»
Selon M. Soberman, l’un des moyens permettant aux entreprises de rejoindre les acheteurs potentiels consiste à suivre un processus appelé «reciblage», dans lequel les utilisateurs voient des annonces pour des produits qu’ils ont déjà consultés en ligne. Par exemple, a-t-il illustré, si un acheteur en ligne visitait le site web d’une quincaillerie pour le bricoleur sur sa liste de Noël, les annonces de ce détaillant suivraient l’utilisateur sur internet pour l’inciter à cliquer pour compléter son achat.

Dans l’idéal, ces publicités personnalisées devraient créer de la valeur pour le vendeur et pour l’acheteur, a souligné M. Soberman.

La faible proportion de publicités qui soulèvent les préoccupations des utilisateurs en matière de confidentialité n’est que le symptôme d’un problème beaucoup plus vaste, à savoir que les personnes ne comprennent pas qu’elles se sont inscrites pour être suivies lorsqu’elles ont coché la case en acceptant les conditions générales d’un site web, a-t-il indiqué.

«Ultimement, je pense que c’est seulement quand nous sommes devant un fait accompli que nous réalisons que nous ne sentons pas tout à fait à l’aise, que nous nous retrouvons dans une situation où nous ne sommes pas heureux», a observé M. Soberman. «Beaucoup de gens sont d’accord avec les choses, puis ils se fâchent après.»

Vance Lockton, analyste stratégique au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, a indiqué que le programme de surveillance de la protection de la vie privée tenait compte de deux considérations principales pour surveiller le marché publicitaire en ligne: la sensibilité des informations et les attentes raisonnables des individus.

La plupart des publicités en ligne reposent sur un modèle de consentement «à option de retrait», a expliqué M. Lockton, ce qui signifie que les entreprises peuvent présumer être autorisées à suivre le comportement des utilisateurs à des fins de marketing, mais doivent leur donner la possibilité de retirer leur autorisation.

Sur des plateformes telles que Google et Facebook, il suffit de quelques clics pour qu’un utilisateur visualise et modifie les paramètres de ses annonces. En outre, l’Alliance de la publicité numérique du Canada propose un outil permettant aux utilisateurs de désactiver les annonces ciblées de plusieurs réseaux.

Cependant, M. Lockton a indiqué que la loi fédérale imposait des limites plus strictes en ce qui concerne le consentement «à option d’inclusion» pour les publicités en ligne sur la base de sujets sensibles qu’un utilisateur s’attendrait à garder privés, tels que des informations médicales et financières, exigeant que les utilisateurs acceptent explicitement de recevoir des annonces sur ces sujets en fonction de leur historique de recherche.

Dans une étude menée en 2015, le bureau du commissaire à la protection de la vie privée avait examiné 9000 annonces et avait constaté que 3% d’entre elles avaient été ciblées sur la base de recherches antérieures. Les enquêteurs ont découvert que sur les quelque 300 annonces ciblées, 34 reposaient sur des recherches délicates telles que «test de grossesse», «refuge pour femmes» ou «traitement de la dépression».

Même si l’ampleur du problème semble relativement mineure, M. Lockton a souligné que l’impact de la divulgation de ce genre d’informations pourrait être considérable.

Il a ajouté que la réglementation ne tenait pas compte des informations qui, selon le contexte, pourraient être considérées comme délicates.

«Il n’y a pas de test clair pour déterminer ce qui est délicat et ce qui ne l’est pas», a-t-il fait valoir. «Une bague de fiançailles (…) est certainement un exemple pour lequel il me semble difficile de déterminer si c’est délicat ou non. On pourrait certainement faire valoir que ce l’est.»

Des services jamais «gratuits»
Pour Eric Morris, directeur des activités de détail de Google Canada, ces distinctions sont claires. Si un acheteur en ligne recherche une bague de fiançailles, il peut souhaiter être exposé aux offres de différents bijoutiers afin de trouver la meilleure pierre et le meilleur prix pour l’occasion, a-t-il expliqué, et il appartient à l’utilisateur de garder le secret de sa navigation.

«Nous faisons la distinction entre les bagues de fiançailles et ce que nous appelons des informations sensibles, qu’elles soient liées à la santé ou aux informations financières d’une personne», a-t-il expliqué, ajoutant qu’il était possible de trouver en ligne une liste de catégories controversées pour lesquelles la société a fait cette distinction.

Pour les catégories délicates, notamment les soins de santé et les services financiers, M. Morris a indiqué que Google appliquait des règles strictes afin d’empêcher que des informations relatives aux difficultés personnelles, à l’identité et aux croyances ainsi qu’aux intérêts sexuels d’un utilisateur soient révélées par le biais de publicités ciblées. Il a ajouté que Google avait mis au point une technologie d’intelligence artificielle capable de filtrer les annonces contenant des informations délicates, et que le personnel révisait également des annonces pour s’assurer que la vie privée des utilisateurs était protégée.

Un porte-parole de Google Canada a mis fin à l’entrevue téléphonique lorsqu’on a demandé à M. Morris si des publicités susceptibles de contourner le contrôle de sensibilité du géant de la technologie constitueraient une violation de la vie privée des utilisateurs. Google a affirmé que M. Morris n’était pas la bonne personne pour répondre aux questions sur les types d’informations recueillies par Google à propos des utilisateurs à des fins de publicité ciblée.

Ramona Pringle, directrice de l’Innovation Studio de l’Université Ryerson à Toronto, a noté que les entreprises de technologie étaient souvent opaques quant à leurs pratiques publicitaires ciblées. Elle a cependant souligné que lorsqu’un service en ligne semblait «gratuit», il était prudent de présumer que le produit vendu est l’information des utilisateurs.

«Chaque fois que vous voyez une nouvelle fonctionnalité inventée ou introduite, nous devrions nous demander: comment peuvent-ils collecter de nouvelles informations sur moi en utilisant cet outil?» a indiqué Mme Pringle.

Aussi intrusives que cela puisse paraître, les publicités ciblées ouvrent une fenêtre sur l’ampleur des informations que les entreprises collectent sur les utilisateurs, un fait que beaucoup de gens semblent oublier lorsqu’ils parcourent le web.

«Nous vivons à l’ère de l’information, et cela signifie en partie (…) que cette information nous est accessible, même si nous ne la recherchons pas ou si nous essayons de la protéger des autres», a déclaré Mme Pringle.

«Il y a des cas intéressants où les entreprises en savent davantage sur les gens que ces personnes pourraient même en révéler aux membres de leur famille et à leurs amis les plus proches.»

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