20 ans de loi contre les crimes de guerre: l’inaction d’Ottawa dénoncée
Près de 20 ans après l’adoption de la Loi canadienne sur les crimes contre l’humanité et crimes de guerre, pas grand chose n’a changé, constatent des victimes, des chercheurs et divers instituts travaillant sur les génocides. Ceux-ci étaient réunis à Montréal dimanche après-midi à l’occasion d’une conférence sur la justice réparatrice tenue au Musée de l’Holocauste de Montréal.
En cette Journée internationale de commémoration des victimes du crime de génocide, les experts estiment que le Canada n’assure pas sa juste part de la lutte contre les crimes de guerre.
En 2000, le Parlement canadien a adopté une loi permettant au Canada de poursuivre ou d’extrader quelqu’un qui commet un crime de guerre à l’étranger avant ou après son arrivée au pays. Depuis, seulement deux personnes ont été jugées en vertu de cette loi, et une a été extradée.
Désiré Munyaneza a été reconnu coupable de génocide en vertu de cette loi, Jacques Mungwarere a été poursuivi avant d’être acquitté par la Cour supérieure et Michael Seifert a été extradé en Allemagne.
Une culture de l’impunité
Une situation déplorée par la spécialiste du droit international pénal et humanitaire, Fannie Lafontaine. «Nous pouvons faire mieux que deux poursuites et une extradition en 19 ans! » dit-elle. «On n’extrade, on ne poursuit pas, on ne fait qu’expulser, après ça on se ferme les yeux et on dit plus rien» confie-t-elle à Métro.
La chercheuse de l’Université de Laval estime que le Canada n’a aucun rôle actif dans la lutte contre l’impunité. «C’est comme si on protégeait nos frontières, mais on n’en faisait rien contre l’impunité […], les budgets n’ont pas changé et la question est rarement dans le programme politique, à moins qu’il y ait des victimes qui se mobilisent» affirme-t-elle.
Elle estime que le Canada a abandonné sa responsabilité d’utiliser son système pénal. Aujourd’hui elle demande au gouvernement d’investir plus de ressources pour extrader ou poursuivre les criminels de guerre ici au lieu de les expulser sans garantie de justice.
«Il y a plein d’autres façons créatives que le Canada pourrait utiliser pour remplir ses obligations. On a choisi l’expulsion parce que ça coûte moins cher, mais ça me semble incontournable si on a la preuve de poursuivre ou d’extrader» note la professeure, qui pense que le Canada a perdu sa crédibilité sur ces questions face aux pays européens qui poursuivent les criminels de guerre présents sur leur sol.
Irwin Cotler, qui a introduit la loi alors qu’il était ministre de la Justice, regrette de constater les résultats de ses efforts. «La culture de l’impunité reste et tant et aussi longtemps qu’elle restera, nous n’implanterons pas correctement la loi que nous avons adoptée», mentionne-t-il.
M. Cotler demande au gouvernement fédéral d’allouer des ressources à l’unité des crimes de guerre, il se désole que son budget stagne depuis 23 ans. «Nous travaillons avec le même budget, mais nous avons plus de criminels de guerre de plusieurs conflits et nous avons une responsabilité de les traduire en justice», tranche-t-il.
Les victimes insatisfaites
Après les accusations contre Désiré Munyaneza et Jacques Mungwarere, le président de l’organisme Page Rwanda, Jean-Paul Nyilinkwaya dit rester sur sa faim. Il estime que le Canada devrait en faire plus contre l’impunité des criminels de guerre présent au pays.
À son avis, les expulsions ne rendent pas justice aux victimes du génocide au Rwanda. Face à la situation en Syrie et au Myanmar, M.Rwirangira estime que le Canada n’en fait pas assez. «C’est toujours très difficile de voir d’autres peuples souffrir et des pays puissants qui ne font rien» avoue-t-il.
De son côté, Nolsima Yim, de l’organisme Centre Khemara, qui commémore les victimes du génocide du Cambodge, croit que les initiatives de réconciliation doivent aller au-delà des procédures judiciaires. «On parle de réconciliation, mais de quelle réconciliation ? On ne peut même pas se parler entre bourreaux et victimes.»