Vers la gratuité des produits menstruels?
Des voix s’élèvent en faveur de la gratuité au Canada. La députée indépendante de Marie-Victorin, Catherine Fournier, compte déposer à l’Assemblée nationale, dans les prochains jours, une motion pour la gratuité des produits menstruels au Québec, a-t-elle dit en entrevue avec L’Atelier, mardi.
«Il faut juste le faire» -Léa Séguin
Elle croit qu’il est temps que le Québec emboîte le pas aux «États avant-gardistes» comme l’Écosse et la Colombie-Britannique en adoptant la gratuité des produits menstruels. La semaine dernière, la région la plus au nord de l’Angleterre avait annoncé qu’elle rendrait gratuits les produits menstruels sans restriction et pour toutes celles qui en auraient besoin.
Catherine Fournier avait accepté, en 2019, d’être la marraine d’une pétition qui demandait que des produits menstruels soient fournis gratuitement dans les écoles. Bien que l’initiative du mouvement En règle Québec, lancé par trois étudiantes en médecine, ait depuis fait banqueroute, la députée mise maintenant sur l’effet d’entraînement pour ramener l’idée sur la table.
«On s’entend que ça représente des coûts vraiment marginaux dans un budget, dit celle qui affirme être toujours prête à s’impliquer dans les causes touchant les femmes. Pourtant, ça enverrait un message vraiment fort en faveur des droits des femmes et de l’égalité des genres.»
L’échec de la pétition relève plus des difficultés administratives, notamment du manque de suivi que le gouvernement accorde aux pétitions, qu’à une véritable animosité envers le projet, selon la députée. Catherine Fournier déplore par ailleurs le manque d’impact réel des pétitions présentées à l’Assemblée nationale.
«De l’extra»
Les tampons, les serviettes hygiéniques et leurs variantes en tous genres sont encore largement perçus comme accessoires au Canada, selon la chercheuse en sexualité humaine et collaboratrice au média spécialisé Club Sexu, Léa Séguin.
Pourtant, la gratuité des produits d’hygiène féminine est tout à fait possible, croit-elle. «L’opinion suit l’action, avec la population. C’est ce qui s’est passé avec le mariage entre deux personnes de même sexe», explique celle qui est aussi doctorante en sexologie à l’Université du Québec à Montréal. «Une fois qu’on a passé la loi […], il y a eu une hausse d’opinion favorable. Il faut juste le faire», dit-elle.
La chercheuse voit qu’un double standard se révèle dans l’inaction du gouvernement. «C’est surtout qu’on le voit comme […] un problème de femmes et de personnes qui ont un utérus et des menstruations. Ça devrait faire partie de la conversation», raisonne-t-elle, mentionnant que l’accès à ces produits relève de l’égalité des genres.
Les initiatives pour réduire le coût de ces produits essentiels se multiplient au pays depuis quelques années. Depuis 2015, il n’y a plus de taxe fédérale, surnommée «taxe tampon», sur le matériel d’hygiène menstruel. La Colombie-Britannique oblige ses écoles publiques à fournir des produits menstruels aux étudiants de niveaux primaire et secondaire depuis 2019. Au Québec, certaines municipalités financent totalement ou en partie l’achat de produits menstruels réutilisables comme les coupes menstruelles et les serviettes lavables. C’est le cas de certains arrondissements de Montréal, par exemple, ainsi que de la ville de Saguenay.
Une dépense supplémentaire
Une femme canadienne dépensera près de 6000$ en produits menstruels au courant de sa vie, affirme Léa Séguin. Si ce montant peut sembler raisonnable une fois échelonné sur une période de 30 ans, il est parfois difficile de trouver l’argent nécessaire à l’achat de produits menstruels à chaque mois, surtout chez la population moins nantie et les personnes itinérantes.
«Il y a plusieurs personnes qui vivent avec de faibles revenus et qui doivent prendre des décisions comme : »Bon, est-ce que je mange un sandwich ou je m’achète des tampons? » », illustre la chercheuse.
Claude Caron, gérant d’une succursale des pharmacies Jean Coutu à Delson, sur la Rive-Sud de Montréal, confirme que les produits menstruels sont toujours «de gros vendeurs». Malgré la popularité grandissante des options réutilisables, qui sont plus écologiques et donc de plus en plus appréciées du public, les serviettes hygiéniques et les tampons remplissent encore une grande section du magasin. «Ça occupe encore un gros volume [de notre chiffre d’affaires]», affirme-t-il.
Bien qu’il observe moins de tabous liés à l’achat de produits menstruels qu’au début de sa carrière il y a 30 ans, Claude Caron ne s’attend pas à ce qu’ils deviennent gratuits de sitôt. Des produits qui s’apparentent aux produits menstruels, les couches d’incontinence pour adultes sont les seules à être remboursées par le gouvernement, observe le gérant. «On voit des personnes qui ont de la misère à payer des couches pour leurs enfants et ils ne sont pas remboursés, affirme M. Caron. Mais je pense que la cause est noble.»