Féminicides: l’alarme sonnée à l’approche de la Journée internationale des femmes
Alors que le monde souligne aujourd’hui la Journée internationale des femmes, le Québec se remet d’une série de féminicides qui ont secoué plusieurs régions de la province. Métro s’est penché sur le phénomène.
Le mois de février 2020 a été un mois funeste pour les féminicides au Québec. Le 5 février, Elisapee Angma, 44 ans, a été tuée à Kuujjuaq, au Nunavik, par son ex-conjoint; selon un média local, ce dernier avait brisé plusieurs ordonnances de non-contact. Le 21 février, Marly Edouard, 32 ans, est tuée par balle devant chez elle à Laval après avoir alerté la police à des menaces à son égard. Le 23 février, Nancy Roy, 44 ans, a été poignardée à mort à St-Hyacinthe; son conjoint fait face à une accusation de meurtre au 2e degré. Le 1 mars, à Sainte-Sophie, en Montérégie, Myriam Dallaire, 28 ans, et sa mère Sylvie Bisson, 60 ans, ont été mortellement blessées à coups de hache; le suspect, l’ex-conjoint de Mme Dallaire, avait déjà été condamné pour voies de fait sur une autre ex-conjointe.
Des statistiques fournies par la Sûreté du Québec démontrent qu’entre 2015 et 2020, entre 5 et 6 femmes sont tuées par un partenaire intime chaque année sur son territoire. Selon la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), 12 québécoises décèdent chaque année dans de tels incidents. La série de cinq décès en cinq semaines a de quoi inquiéter le milieu de la prévention de la violence.
«Pour nous, c’est toujours triste, et nous sommes aussi en colère», dit Manon Monastesse, directrice générale de la FMHF. Avant le meurtre des deux femmes à Sainte-Sophie, en particulier, il y avait «des grands drapeaux rouges», dont un suspect qui avait une histoire de violence dans une relation précédente. «Dans 60% des fémicides [liées à une situation de violence conjugale], il y a des indications de dangerosité qui n’avaient pas été évaluées avant le décès de la femme», dit-elle.
Elle ajoute que le confinement a mis de la pression sur des relations où il y avait déjà un risque de violence. «Le premier tactique d’un conjoint violent est d’isoler sa conjointe. Quand tout le monde est confiné, c’est le contexte idéal pour lui de continuer à exercer le contrôle.»
Avant la pandémie, le taux d’occupation des maisons de la FMHF avoisinait les 97%. Actuellement, certaines maisons sont pleines et d’autres ont moins de pensionnaires que d’habitude. «Les femmes sont avec leurs agresseurs 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ça devient très difficile pour elles de rentrer en contact avec nous», se désole Manon Monastesse.
Le confinement a aussi compliqué les efforts des organismes de prévention de violence. Sabrina Nadeau est directrice générale d’À Coeur d’Homme, un réseau panquébécois qui travaille avec des hommes à risque d’être violents. «Les situations sont plus chargées, les gars sont à fleur de peau. Il y a des pertes d’emploi et beaucoup de frustration… et en raison du couvre-feu, ils ne peuvent pas sortir dehors le soir pour se défouler. Tout est amplifié.»
Tout comme Mme Monastesse, Sabrina Gareau voit d’un bon œil le fait que le premier ministre François Legault ait lancé un message «d’homme à homme» pour dénoncer la violence conjugale. «Le fait d’en parler, et de dire que c’est inacceptable en société, ça aide», souligne-t-elle.
Cependant, elle aimerait que le gouvernement investisse davantage en éducation et en outils de prévention. «Il ne faut pas se limiter à la honte. Il faut investir dans l’ éducation, dire aux femmes et aux jeunes que la violence est inacceptable, et accompagner les hommes qui ont déjà été violents. Nous sommes sous-financés depuis des années et si demain matin, tous les gars du Québec nous appelaient, on n’aurait pas les ressources pour les aider.»
Début décembre 2020, le gouvernement Legault a annoncé 14 mesures pour contrer la violence conjugale, accompagnées d’un budget de 180 M$. Selon le plan, les maisons d’hébergement bénéficieront d’un financement accru, des cellules d’intervention seront mises sur pied pour encadrer des personnes à risque de comportements violents, et des intervenants, dont des employés de garderie, seront mieux formés pour dépister des situations familiales à risque. Une étude de faisabilité sera aussi commandée quant à l’utilité des bracelets anti-rapprochements pour des personnes assujetties aux ordonnances de non-contact.
Mme Monastesse dit avoir peu de nouvelles quant au cheminement de ces mesures. Le secrétariat à la Condition féminine n’a pas donné suite aux appels de Métro.
En cette Journée internationale des droits des femmes et à la veille de la reprise des travaux parlementaires, Mme Monastesse participera à une conférence de presse accompagnée des trois porte-paroles des partis d’opposition en matière de condition féminine, Isabelle Melançon du Parti libéral, Christine Labrie de Québec solidaire et Méganne Perry-Mélançon du Parti québécois. «Nous sommes contentes que M. Legault aborde la question des féminicides. Mais il faut qu’on rappelle au gouvernement que nous avons besoin d’un meilleur soutien afin de répondre adéquatement aux besoins de toutes les femmes», résume Manon Monastesse.