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Chronique: Banalité du mal ordinaire

Une foule de plus de 2500 personnes s’est rassemblée jeudi lors d’une marche tenue à Montréal pour la première Journée nationale de la vérité et réconciliation. La marche a débuté à la Place du Canada et s'est terminée à la Place des festivals. Photo: Josie Desmarais/Métro

Je vous ai déjà parlé dans quelques chroniques antérieures de la philosophe Hannah Arendt et de mon admiration pour elle. Dans son (célèbre) ouvrage Eichmann à Jérusalem, où il est question du procès d’un nazi réfugié en Argentine, et tout juste kidnappé et amené en Israël, l’humaniste développe le concept de banalité du mal. En gros: ce dernier ne réside pas tant dans l’extraordinaire, mais bien dans les petits gestes et comportements.

Toujours selon Arendt, le tortionnaire s’était délesté de son pouvoir de réflexion au profit d’une obéissance stupide aux ordres, dépouillée dès lors de ses propres jugements moraux. La bête, dit autrement, a laissé sa médiocrité guider ses actions.

Cette analyse devenue concept philosophique me trotte dans la tête par intermittence, ces derniers temps.

Je réfère donc à la banalité du mal ordinaire. Celui qui passe sous les radars. Celui qui nous permet de demeurer confortablement assis dans nos salons respectifs, match du CH ou District 31 à l’écran. Notre médiocrité collective, en d’autres termes, nous dépouille de nos jugements moraux, de nos capacités de révolte et de rébellion. Sans méchanceté particulière, nous laissons certains actes étatiques impunis, agissant à titre de témoins muets ou, à l’occasion, de chaînons nécessaires à l’accomplissement du Mal en question.

Des illustrations récentes? Légion. Qui pour s’élever contre le refus du gouvernement Legault de reconnaître le Principe de Joyce, lequel souhaite, timidement, que chaque Québécois, Autochtones inclus, ait droit aux mêmes soins de santé? Qui pour s’objecter à la proposition de Denis Coderre de remettre en place la statue, donc l’hommage, au plus important dirigeant raciste de l’histoire du pays le jour même de réconciliation nationale? Qui pour obliger Legault et ses ministres à fouiller les sites d’ex-pensionnats autochtones, à l’instar d’autres provinces? Qui pour pleurer, plus de trois minutes, les macabres découvertes? Qui pour se frustrer du négationnisme afférent quant à une implication toute québécoise?

Qui pour s’inquiéter de l’absence totale et complète d’actions sérieuses de nos gouvernements en matière environnementale? Qui pour trouver sidérant qu’en l’espace d’une génération, plus de 200 millions de réfugiés climatiques seront à la recherche d’un lopin de quiétude? Qui pour gueuler contre le fait que le dernier programme électoral caquiste était dénué de la mention même du mot «environnement»? Pendant que notre Terre, cette poubelle en feu, s’apprête à être calcinée. Pour de bon.

Dans cette banalité du mal ordinaire, force est de l’avouer, nous sommes complices. Non par méchanceté, mais par médiocrité. Honte à nous. Solide.

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