Port du masque au Québec: une «prudence» tant politique que scientifique
Pour le directeur national de la santé publique, le Dr Luc Boileau, la sixième vague est «en voie d’être contrôlée» au Québec. Néanmoins la province est la dernière à retirer l’obligation du port du masque, le 14 mai prochain. Le Québec se distingue-t-il une fois de plus «par prudence»? Voici une analyse de Antoine Lemor, candidat au doctorat en science politique et chargé de cours à l’Université de Montréal.
ANALYSE – Comme la plupart des mesures sanitaires, l’obligation du port du masque dans les lieux publics fermés est désormais levée dans la plupart des provinces canadiennes, à deux exceptions près: l’Île-du-Prince-Édouard (qui la lèvera le 6 mai) et le Québec, dernière province à finalement la retirer, le 14 mai prochain.
À l’instar du couvre-feu, la distinction du Québec ne manque pas de soulever des interrogations. D’autant plus que l’Alberta, qui a retiré la mesure le 1er mars 2022, avait depuis la fin du mois de janvier davantage d’hospitalisations par 100 000 habitants que le Québec.
Comment expliquer que, comme avec le couvre-feu, le Québec se distingue une fois de plus «par prudence»?
Plusieurs explications peuvent être avancées. Toutefois, comme nous le montrons dans ce récent chapitre portant sur la fermeture des écoles au début de la pandémie, certaines différences d’approches peuvent s’expliquer par la façon dont les gouvernements traduisent la science en politiques publiques. L’utilisation de la science peut en effet être influencée par la manière dont les institutions politiques sont organisées.
Doctorant en science politique, je cherche précisément à expliquer de quelle manière la science s’intègre à la décision. Face à un nouveau problème, la science est parfois incertaine alors que les institutions (politiques, sociales, culturelles) sont plus stables. Celles-ci peuvent ainsi contraindre les décisions. Par conséquent, une mesure sanitaire n’est jamais tout à fait la traduction exclusive et linéaire d’un constat scientifiquement établi.
Mais qu’en est-il du port du masque?
Que trouve-t-on derrière le masque?
Parmi toutes les mesures sanitaires, le port du masque est certainement l’une des plus importantes. D’un point de vue épidémiologique, il demeure efficace pour réduire les risques d’infection, comme le montre une récente étude du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) portant sur les lieux publics fermés.
C’est pour cette raison, affirme-t-on, que l’obligation est prolongée au Québec jusqu’au 14 mai. Le 28 avril 2022, le Directeur de la santé publique par intérim, le Dr Boileau, évoquait à cet égard en conférence de presse un besoin de «prévisibilité» et de «prudence», notamment face au variant BA.2.
Pourtant, l’efficacité du port du masque n’a pas toujours été aussi évidente pour le gouvernement. Au début de la pandémie, de longues hésitations ont ponctué la gestion gouvernementale. D’abord découragée, puis incitée, puis recommandée, ce n’est que le 13 juillet 2020 que l’obligation entre en vigueur, non sans une passe d’armes avec certains experts ou avec la Ville de Montréal.
Or, ces hésitations montrent que le port du masque n’a pas seulement une portée épidémiologique, mais également politique. La succession des raisons invoquées pour ne pas l’imposer entre mars et juillet 2020 le démontre: mauvaise utilisation des masques, «raisons juridiques», stocks limités.
Aujourd’hui, sa levée n’en est pas plus différente.
La Direction de santé publique au Québec: un «exécutif loyal»
Le port du masque n’est donc pas qu’une mesure dont la seule origine est à trouver dans un constat scientifique. En effet, cette mesure ne peut s’expliquer sans le contexte et les facteurs institutionnels et sociopolitiques qui l’influencent tout autant que la science sur laquelle elle est fondée.
Du côté institutionnel, comparativement aux autres provinces, la littérature scientifique catégorise le Directeur de santé publique du Québec comme un «exécutif loyal», notamment car ce dernier manque de pouvoirs de communication directe avec la population.
Nous avons pu le constater par la position de «second» qu’a occupée le Dr Arruda par rapport au premier ministre François Legault, mais aussi lorsque la Ville de Montréal a voulu imposer le port du masque en 2020 alors que le gouvernement provincial hésitait à le faire: la décision demeure politiquement centralisée.
Bien que ce lien de subordination politique permette d’assurer le contrôle démocratique de l’administration, il peut toutefois diminuer la marge de manœuvre de la Santé publique. Ce contrôle a notamment été illustré par la décision du gouvernement de sortir de l’état d’urgence sanitaire par voie législative (projet de loi 28) afin de conserver certains décrets.
En effet, le ministre Christian Dubé affirmait le 16 mars dernier, que l’article 2 du projet de loi 28 empêcherait tout retour à l’obligation du port du masque une fois retirée, et que le taux de vaccination devrait être suffisant pour ne pas avoir à y revenir.
Alors, pourquoi une telle «prudence»?
Port du masque: une «prudence» autant politique que scientifique
Dans les faits, la «prudence» affichée par le Dr Boileau semble aussi politique que scientifique. D’abord, parce que la Santé publique sera en réalité contrainte par l’article 2 du projet de loi 28, qui l’empêchera de revenir sur la fin de l’obligation. Le report jusqu’au 14 mai prochain semble ainsi lié à l’attente des suites parlementaires du projet de loi qui n’est pas encore voté et qui suscite une forte opposition.
Ensuite, parce que les débats houleux sur le projet de loi 28 semblent s’être traduits, selon les derniers sondages de l’INSPQ, par une polarisation progressive des Québécois.es face à l’état d’urgence sanitaire (54 % favorables aujourd’hui à la fin de l’état d’urgence contre 64 % il y a trois semaines), ou face à l’obligation du port du masque (45 % favorables aujourd’hui à l’obligation contre 58 % il y a trois semaines).
Ceci minore ainsi l’autonomie que peut incarner le Dr Boileau qui, comparativement à son prédécesseur, annonce seul ses recommandations. Or, comme évoqué dans un précédent article, ce manque d’autonomie peut avoir des effets sur la gestion de la pandémie en la rendant plus confuse.
En effet, comme le montre la progressive érosion du soutien des Québécois envers l’obligation (58 % à 45 %), le report répété de la fin de la mesure semble avoir eu un impact sur la population. Notons également que l’adhésion de cette dernière aux mesures de prévention n’a jamais été aussi faible depuis le début de la pandémie (36 %).
Or, si elle était moins contrainte et moins centralisée, la Santé publique pourrait plus facilement se permettre de jongler entre obligation et recommandation, d’autant que les Québécois se disent prêts à le porter volontairement.
Pourtant, au cours de ces derniers mois, choisir librement entre obligation et recommandation semble avoir été impossible pour la Santé publique, dont l’autonomie demeure toute relative.
Antoine Lemor, candidat au doctorat en science politique et chargé de cours, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.