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#MoiAussi a 5 ans: on fait quoi maintenant?

Léa Clermont-Dion Photo: Josie Desmarais/Métro

La société québécoise a-t-elle suffisamment changé depuis #MoiAussi, le mouvement amorcé il y a cinq ans pour faire évoluer le regard que porte la société sur les violences sexuelles et leurs victimes? Métro s’est entretenu avec l’autrice et chercheuse Léa Clermont-Dion et la comédienne Patricia Tulasne, qui ont toutes deux participé au mouvement.

D’abord, les deux femmes s’entendent pour dire que malgré les avancées, beaucoup de chemin reste à faire, à commencer par l’approche du système judiciaire dans l’accompagnement des victimes. La victime doit être au centre du processus, disent-elles.

«Il va falloir que les gouvernements pensent à la pérennité des actions en accompagnement pour les victimes d’agression sexuelle quand elles portent plainte, dit d’emblée Léa Clermont-Dion. Il faudrait aussi mettre davantage de ressources dans l’accompagnement des victimes qui ne veulent pas être dans le processus judiciaire.»

Peu de temps après la première vague de dénonciation, Léa Clermont-Dion avait lancé le hashtag #EtMaintenant avec d’autres féministes québécoises. L’initiative visait à continuer le mouvement #MeToo pour trouver des solutions concrètes. Elle a depuis coréalisé la série documentaireT’as juste à porter plainte diffusée sur Noovo, dans laquelle on suit son propre processus judiciaire, de même que le parcours d’autres victimes. L’objectif est de sensibiliser la population et les professionnels de la justice à ce que vivent les plaignantes et plaignants dans leur processus judiciaire. Le procès de Léa Clermont-Dion contre son agresseur présumé se rendra en Cour d’appel en 2023.

Patricia Tulasne, elle, dénonce une justice à «géométrie variable» face aux irrégularités dans les peines administrées et une «iniquité» entre le traitement réservé à la victime et celui réservé à l’agresseur. Elle demande ainsi une formation des juges et du corps judiciaire ainsi qu’une révision du Code criminel par Ottawa pour remettre la victime «au centre du système de justice».

«Tout dépend du juge sur lequel on va tomber, on va avoir gain de cause [ou pas]. Il y a tout un système de règles de droit […] qui ne permettent pas aux victimes d’accéder à la justice, car encore aujourd’hui, le système est très favorable à l’agresseur. On va tout faire pour que l’agresseur s’en sorte ou s’en tire avec des peines minimes.»

Il y a des choses qui peuvent être corrigées dans le fonctionnement de la justice, mais, maintenant, pour aller plus loin, il faudrait parfaire les lois à Ottawa.

Patricia Tulasne, comédienne et porte-parole du groupe Les Courageuses
Patricia Tulasne, candidate à la mairie de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve pour Ralliement pour Montréal.

Patricia Tulasne a été la porte-parole des Courageuses, groupe composé de 21 femmes qui a déposé un recours collectif contre le même agresseur présumé. Elle a par la suite fait partie du comité «Rebâtir la confiance» pour faire progresser le système judiciaire en considérant davantage les victimes des violences sexuelles. Un rapport a été élaboré par ce comité et 190 recommandations ont été formulées, dont la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Ce tribunal prend désormais vie sous la forme d’un projet pilote aux quatre coins du Québec.

Déstigmatiser les victimes

Alors que de nombreuses dénonciations ont eu lieu sur les réseaux sociaux, Léa Clermont-Dion constate une méfiance à l’égard de ce «tribunal populaire». Au cours des dernières années, différents agresseurs présumés ont notamment poursuivi leurs victimes pour diffamation après que celles-ci les eurent ouvertement dénoncés.

«S’il y a une nouvelle vague, il y a certaines choses qui vont changer, par exemple avec les poursuites en diffamation et les mises en demeure, il n’est pas aussi facile de dire “j’accuse quelqu’un” sur les réseaux sociaux à visage découvert sans qu’il y ait de conséquences, dit Léa Clermont-Dion. Malgré les bons coups, il y a un ressac quand même. Les dénonciations en ligne sont un peu mal vues.»

J’espère qu’on va moins stigmatiser les victimes. Il faut que la honte change de camp. Je n’ai pas à avoir honte de ce que j’ai vécu: c’est la personne qui a commis le crime qui devrait avoir honte de ses actes.

Léa Clermont-Dion, autrice et chercheuse postdoctorale

Discuter de l’intime en public

Léa Clermont-Dion et Patricia Tulasne se disent optimistes quant aux avancées qu’a connues le Québec. Toutes deux s’accordent pour dire que les mentalités et les institutions ont changé depuis les cinq dernières années.

«Je pense qu’aujourd’hui, il y a un consensus sur les agressions sexuelles, et on comprend le parcours vécu par les victimes», explique Léa Clermont-Dion.

Le plus grand avantage du mouvement #MeToo, c’est que maintenant, les victimes parlent, elles dénoncent, alors que dans mon temps, les victimes se taisaient.

Léa Clermont-Dion, autrice et chercheuse postdoctorale

Pour elle, le mouvement #MoiAussi a d’abord permis à la population de comprendre l’importance des réseaux sociaux pour «revendiquer l’intime» en permettant la diffusion de perspectives et revendications qui étaient alors «invisibilisées».

En plus de libérer la parole des victimes, ce mouvement a permis d’inculquer l’importance du consentement.

«On a aussi eu des discussions qu’on n’aurait jamais eues sur le consentement et ça a transformé nos rapports intimes, explique Léa Clermont-Dion. Il y avait plein de comportements qu’on prenait pour acquis et qui ne passent plus aujourd’hui.»

Optimistes

Toutes deux considèrent l’implication des hommes dans le mouvement comme une avancée significative. Pour Léa Clermont-Dion, cela montre le chemin parcouru depuis cinq ans et l’évolution des mentalités. «C’est une bonne nouvelle de voir des hommes aussi être vraiment fâchés par la situation; c’est vraiment un exemple flagrant que les mentalités évoluent.»

Patricia Tulasne se réjouit quant à elle de voir le Québec fréquemment pris en exemple pour sa lutte contre les crimes sexuels. Elle se dit aussi confiante dans l’avenir lorsqu’elle voit l’élan qui touche aussi les jeunes générations.

«C’est une force qu’on a aussi, ici au Québec, que la parole s’est libérée et que les femmes n’hésitent plus à parler, dit-elle. Ma génération, on a été habitué à se taire. La parole des femmes n’était pas prise au sérieux et il ne fallait pas parler, mais aujourd’hui c’est différent. Je trouve ça formidable que cette parole se soit libérée et que les jeunes n’hésitent plus à la prendre pour dénoncer.»

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