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Harper s’est servi d’Omar Khadr pour faire de la politique, accuse Frédéric Bérard

Photo: David Beauchamp

L’ancien premier ministre du Canada Stephen Harper est responsable de la détention illégale et des années de torture qu’a subies Omar Khadr pour des raisons politiques, au détriment du droit canadien. C’est ce que soutient l’avocat, docteur en droit et chroniqueur Frédéric Bérard dans son dernier ouvrage, qui relate l’histoire de cet ex-détenu à la prison américaine de Guantanamo.

L’essai, intitulé J’accuse les tortionnaires d’Omar Khadr, retrace toute cette saga depuis ses débuts, en 2002, lorsque Khadr est arrivé à Guantanamo alors qu’il était encore mineur. Dès ce moment, le gouvernement canadien de Stephen Harper a pris plusieurs décisions montrant qu’il n’avait pas d’intention de le rapatrier au pays, bien au contraire, selon l’auteur du livre.

Des décisions louches

«J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de Khadr en 2010, quand la Cour suprême a décidé de ne pas intervenir dans les Affaires étrangères canadiennes, et ce, même s’il y avait des preuves qu’Ottawa avait violé des droits à l’endroit de Khadr», explique M. Bérard. «À ce moment-là, Barack Obama était président américain et il voulait fermer Guantanamo pour de bon et renvoyer les détenus dans leur pays d’origine. En principe, Omar Khadr aurait dû retourner au Canada, mais il demeurait détenu, et c’est là que je me suis questionné quant à savoir pourquoi.»

En faisant ses recherches, le docteur en droit réalise que l’intervention de Stephen Harper dans le dossier coïncide avec le dépôt de nouvelles accusations contre Omar Khadr à Guantanamo, considérées comme bidon. Le but n’était pas de le condamner, mais bien qu’il demeure détenu.

«Ce que j’ai compris, c’est qu’Harper savait que Khadr ne serait pas reconnu coupable s’il subissait un procès au Canada, parce que les accusations contre lui étaient alambiquées et infondées.»

C’est là le génie de Harper: il s’est simplement servi de lui pour faire de la wedge politics [politique de la division], en s’affichant comme un champion de la justice et de la démocratie, contrairement à ses adversaires politiques, dépeints comme pro-Khadr, donc pro-terrorisme.

Frédéric Bérard

Le premier ministre canadien «savait que la détention de Khadr était illégale, mais il s’en est servi pour générer du capital politique».

Un séjour à Guantanamo peu reposant

Bien que la saga d’Omar Khadr se soit conclue avec les réparations et excuses officielles de Justin Trudeau en 2017, l’auteur affirme qu’il n’aurait pas pu publier son livre plus tôt, puisque trop d’éléments incertains restaient à élucider. L’un d’entre eux était le fonctionnement du complexe carcéral américain de Guantanamo, où Omar Khadr a été détenu pendant une décennie. Frédéric Bérard a donc entrepris un voyage sur place en juin 2022, qu’il qualifie de «moment eurêka» dans la réalisation de son essai.

Avant de m’y rendre, je pensais que cette prison cherchait à atteindre la justice, même si l’institution était toute croche. Mais c’est en étant sur place que j’ai réalisé qu’en fait, Guantanamo ne cherche pas à condamner les gens: c’est un centre de détention où même les avocats et les juges sur place ne croient pas que les détenus peuvent obtenir justice.

Frédéric Bérard

Son séjour d’une semaine a été ponctué de fouilles régulières et d’une étroite surveillance de chacun de ses faits et gestes. L’auteur a été accompagné par un chaperon qui ne l’a pas lâché d’une semelle durant son passage. Il a malgré tout été en mesure de trouver des preuves qui soutiennent sa thèse selon laquelle Omar Khadr est resté détenu en raison de l’obstination de Stephen Harper.

Le docteur en droit et auteur Frédéric Bérard. Photo: Gracieuseté, Jacynthe Lavoie, Agence Jaune

«Pour vous donner une idée, sur les 780 détenus qui sont passés par Guantanamo, seulement deux ont été condamnés. C’est épouvantable, et ça prouve qu’il n’y a pas d’intention de rendre justice là-bas. J’ai pu éplucher les 220 requêtes au dossier de Khadr sur place, allant de banalités à des aspects plus fondamentaux de son dossier carcéral, prouvant qu’il a été réellement été détenu en absence de preuves et qu’un procès n’était pas prévu. C’est réellement parce qu’Harper ne voulait pas le recevoir au Canada qu’il est resté sur place, bien qu’Obama souhaitait le renvoyer chez lui.»

Des leçons à tirer

Toute cette saga illustre une atteinte à l’État de droit, élément fondamental de toute démocratie, puisqu’Omar Khadr a été détenu de manière arbitraire et a été torturé sans jamais obtenir un procès juste et équitable, conclut M. Bérard. Pour lui, le Canada doit apprendre de ses erreurs pour qu’une telle situation ne se répète plus jamais.

«Je tiens à rappeler que ce n’est pas un livre sur Omar Khadr – que je n’ai d’ailleurs jamais rencontré – mais plutôt sur toutes les décisions politiques qui expliquent l’injustice qu’il a vécue. Si on veut vivre dans une démocratie, ça prend un État de droit sérieux dans lequel les gens doivent être jugés avec des preuves et suivant un protocole strict, peu importe leurs crimes. Pour moi, un premier ministre qui affirme qu’un détenu est un terroriste sans preuve tangible et qu’il mérite de rester en prison sans procès, c’est l’inverse d’un État de droit. Harper n’a d’ailleurs pas nié les allégations contenues dans mon livre.»

Frédéric Bérard fera le lancement officiel de son ouvrage J’accuse les tortionnaires d’Omar Khadr le 9 mars prochain à 17h30 à La Cale – pub zéro déchet, situé au 6839, rue Saint-Hubert.

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