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Le sang gai

Photo: Archives Métro

Ce que les politiques de don de sang disent sur notre rapport à l’homosexualité.

Le Canada modifiait l’an passé sa politique quant au don de sang par des hommes ayant déjà eu des relations homosexuelles. Au lieu de leur interdire de donner leur sang pour le reste de leur vie, les homosexuels qui n’auront pas eu de relation sexuelle depuis cinq ans pourront se présenter à un kiosque d’Héma-Québec et recevoir une barre tendre et un jus Oasis en guise de récompense. Autant dire que le Canada n’a PAS modifié sa politique quant au don de sang par des hommes ayant déjà eu des relations homosexuelles.

Il n’est pas le seul pays à discriminer le sang des gais. La France restreint aussi le don de sang des homosexuels, et la FDA, aux États-Unis, se penche présentement sur la question. Un rapport du Département de la santé et des services sociaux vient de recommander le maintien de cette interdiction et ce, en dépit du fait qu’une majorité d’experts s’entend pour dire qu’il n’y a rien qui justifie scientifiquement cette exclusion. Ces experts comptent notamment la Croix Rouge, l’Association américaine des centres de dons de sang, l’Association américaine des banques de sang, et l’Association médicale américaine. Au Québec, notre spécialiste du VIH Réjean Thomas s’est prononcé à maintes reprises en faveur de la levée de l’interdiction.

Ces politiques ont généralement été mises en place au plus fort de la crise du SIDA, à une période de l’histoire où les autorités médicales arrivaient mal à contrer cette épidémie fortement associée à la communauté homosexuelle. Trente ans plus tard, les choses ont changé, le dépistage s’est raffiné, les idées reçues sur la maladie se sont estompées, mais les politiques de dons de sang sont demeurées toutes aussi discriminatoires. Voici ce qu’elles laissent à penser :

  1. Que les homosexuels ne sont pas dignes de confiance

Les personnes qui se proposent généreusement pour faire un don de sang doivent répondre à une panoplie de questions. On leur demande par exemple si elles ont eu une relation sexuelle à risque. Mais cette confession n’est pas suffisante si vous êtes un homosexuel*. Non, si vous avez déjà eu une relation homosexuelle, vous devez aussi être au régime sec depuis cinq ans. Je me demande bien comment Héma-Québec fait pour vérifier cette affirmation, étant donné qu’on ne semble pas faire confiance à la probité des homosexuels quant à leur capacité à évaluer le degré de risque de leurs relations sexuelles. J’aimerais bien voir tous mes amis homosexuels aller dire à Héma-Québec qu’ils n’ont pas eu de relation sexuelle depuis cinq ans, juste pour troller le système et mettre en lumière son absurdité**. Si le système est basé sur la bonne foi des individus qui se prêtent à l’exercice du don de sang, pourquoi conçoit-on d’emblée que les homosexuels sont dépourvus de bonne foi?

  1. Que l’homosexualité, c’est dangereux

Chez Héma Québec, on justifie la politique d’exclusion des homosexuels en affirmant que «la prévalence du VIH se situe à plus de 10 % chez ce groupe par rapport à bien moins de 1 % chez les hétérosexuels ou les lesbiennes». Est-ce pour autant nécessaire de mettre tous les homosexuels dans la même case, en l’occurrence, dans une case où on résume l’homosexualité à de la sexualité, et la sexualité homosexuelle, à une sexualité dangereuse? Un jeune hétérosexuel aux multiples relations d’un soir non protégées n’est-il pas plus à risque qu’un père de famille homosexuel, pas particulièrement friand de la pénétration anale, en couple avec le même homme depuis 20 ans? Le premier pourra donner son sang dans les six mois qui suivront sa dernière relation à risque, le second, jamais. À moins qu’il ne se sépare de l’homme avec qui il est depuis 20 ans et qu’il demeure célibataire et abstinent pendant cinq ans, ce qui serait beaucoup trop triste.

  1. Que les lesbiennes et les hétérosexuels ne sont pas à risque

Le mandat d’Héma-Québec n’est pas spécifiquement de sensibiliser la population générale aux dangers des pratiques sexuelles à risque, mais n’envoie-t-il pas un drôle de message aux personnes lesbiennes et hétérosexuelles? À force de dire que le VIH est une maladie de gais, n’est-on pas en train de minimiser le péril pour les personnes qui sont jugées moins à risque par les autorités, mais qui ne sont pas hors de danger pour autant?

  1. Que le VIH est une maladie de gais

Si Héma-Québec avait envie de stigmatiser davantage les homosexuels, il n’aurait pu faire mieux que de les associer de la sorte au VIH, dont les porteurs sont eux-mêmes victimes de stigmatisation.

  1. Que le sang d’Héma-Québec n’est pas sécuritaire

Le plus inquiétant dans tout ça, c’est que Héma-Québec nous assure que tous ces échantillons de sang sont testés, mais que la raison pour laquelle elle exclut les homosexuels pendant cinq ans est que malgré l’acuité de ses tests, «le risque de ne pas détecter un don de sang infecté, si minime soit-il, n’est pas nul». Mais si ce risque n’est pas nul, alors il n’est pas nul non plus pour les hétérosexuels qui se croient hors de danger.

  1. Que le don de sang, c’est politique

Le fait que les homosexuels soient victimes d’un traitement différentiel en vertu de leur seule orientation sexuelle et que cette exclusion ne soit soutenue par aucun fondement scientifique donne à croire que nous sommes face à une sorte de bête hétéronormativité administrative, formulée par des fonctionnaires qui ne semblent avoir aucune idée des répercutions que peuvent avoir ces politiques sur le sentiment des personnes homosexuelles de pouvoir contribuer pleinement à la société. À moins qu’il ne s’agisse carrément de la légitimation d’une certaine forme d’homophobie. Récemment, la Société canadienne du sang, l’agence responsable de réguler le don de sang au Canada, procédait à un sondage pour savoir si la population canadienne était d’accord pour que la période de jachère soit réduite à un an. Parce qu’on sait que la population Canadienne est qualifiée pour répondre à ce genre de question. Pourquoi ne pas lui demander ce qu’elle pense de la pertinence de la chimiothérapie dans le traitement d’un cancer au stade quatre? Ce type de sondage vise généralement à mesurer l’acceptabilité d’une politique. Mais pas besoin de sondage pour savoir que l’exclusion des homosexuels des banques de sang est une politique inacceptable.

* Qu’en est-il des personnes trans? J’ai appelé Héma-Québec en me faisant passer pour une femme trans et j’ai demandé si je pouvais donner du sang. La réponse est non.

** Ce billet n’est PAS un encouragement à aller troller Héma-Québec. Soyez toujours honnête dans vos déclarations. La santé des gens est en jeu.

Je vous laisse sur cette vidéo de PL Cloutier, qui se sent «Exclu pour la vie».

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