Soutenez

Quand des femmes ont marché jusqu’à Québec

Photo: Du pain et des roses – 1995 - FFQ

Il y a 20 ans, 850 femmes ont pris la route. À pied, elles sont parties de Longueuil, de Montréal et de Rivière-du-Loup en direction de Québec pour témoigner de leur colère et de leur indignation devant la pauvreté des leurs. Elles avaient en poche neuf revendications adressées au gouvernement de l’époque, qui était dirigé par Jacques Parizeau.

C’était la Marche du pain et des roses.

Cette vaste manifestation citoyenne a été initiée par la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) de l’époque, Françoise David, qui fait aujourd’hui partie de la députation de Québec Solidaire. «Je cherchais une façon de remobiliser le mouvement des femmes, particulièrement sur le terrain de la pauvreté, parce qu’on sortait d’une récession, s’est rappelée l’ancienne leader féministe. J’ai vu un reportage sur des Noirs américains qui ont marché dans les années 1960 pour leurs droits civiques. Dans ma tête, il y a une petite lumière qui s’est allumée et je me suis dite qu’on pourrait faire ça au Québec.»

À lire aussi: Entrevue avec la marcheuse la plus âgées, qui a aujourd’hui 99 ans

Mme David a soumis son idée au conseil d’administration de la FFQ. Ses membres ont douté de la faisabilité du projet et l’ont enjoint à consulter le mouvement des femmes. C’est ce qu’elle a fait. Et rapidement, une vingtaine de femmes de tous les horizons, dont l’actuelle députée de Québec Solidaire Manon Massé, ont adhéré à l’idée.

«Après deux heures de discussion, on est sorti de la première réunion avec la mise sur pied de comités de travail sur les revendications, la logistique et les communications, a dit Françoise David. À partir de là, tout a déboulé très vite.

«Très rapidement, je me suis emballée», a lancé pour sa part Mme Massé, qui est devenue responsable des déplacements.

Pendant un an, la FFQ ainsi que des groupes de femmes ont préparé la marche qui a rapidement pris le nom Du pain et des roses (voir encadré). Dans chaque région où les marcheuses fouleraient le sol, des organismes locaux ont cherché les endroits où elles pourraient manger et dormir, comme des gymnases d’école ou des sous-sol d’église. Au bout du compte, il a été décidé que les femmes parcourraient quotidiennement 21 km pendant 10 jours. Elles emprunteraient les routes qui longent les petites localités. Pas questions d’aller sur les autoroutes pour des questions de sécurité mais aussi de visibilité.

«On a été victime de notre succès, s’est souvenue Mercedes Roberge, qui faisait partie de l’équipe de coordination. Il y a eu beaucoup d’inscriptions. Il fallait s’assurer que dans les villages, il y avait les espaces nécessaires pour accueillir toutes les marcheuses.»

Le 26 mai 1995, la Marche du pain et des roses a été lancée. Sac sur le dos et espadrilles dans les pieds, les femmes ont délaissé leur famille et se sont mis en marche vers la Capitale pour aller porter leurs revendications pour freiner la pauvreté. En chemin, elles échangeaient sur leur vécu, sinon elles chantaient, notamment l’hymne à la marche qui a été popularisée par Marie-Claire Séguin. Dans les villages, des citoyens les encourageaient et les cloches des églises résonnaient.

«Ça ne coûtait rien pour faire la marche, a mentionné Manon Massé. L’idée était que chacune contribue avec ses ampoules aux pieds et sa détermination.»

Une femme qui prenait part du contingent parti de Rivière-du-Loup a commencé à marcher en sandales. Elles éprouvaient des problèmes de santé mentale. «Elle savait exactement pourquoi elle marchait, s’est rappelée Manon Massé. Les marcheuses l’ont accueillie de façon extraordinaire. Elles n’étaient pas riches, mais elles se sont cotisées au deuxième jour de la marche, et au troisième jour, la marcheuse avait des souliers de course. Ça m’a marquée.»

Lise Fournier faisait partie de son côté du contingent de Longueuil. Après la première journée, elle a éclaté en sanglot. «J’ai pleuré de joie, a raconté celle qui, à l’époque, sortait d’une période particulièrement pénible de sa vie. J’étais fière de moi. Je n’étais pas sûre d’être capable d’aller jusqu’au bout.»

Rapidement, une sororité s’est installée. Les femmes se tenaient les coudes serrés, malgré les fluctuation du moral et les blessures physiques. Au terme de la journée, des massothérapeuthes et des infirmières s’assuraient de leur bonne condition physique.

Dans le contingent de Montréal, une femme et son bébé de quelques mois se sont greffés au groupe de marcheuses. Celles-ci étaient choquées qu’ils court-circuitent ainsi le processus d’inscription. «Il a fallu qu’on échange avec les femmes, a mentionné Mme Massé. La jeune mère a été assez intelligente pour organiser ses dix jours de marche. Durant la journée, on marchait ensemble et au dîner, elle s’organisait. Le soir, elle trouvait un lieu pour dormir. Pour moi, cette femme a été une inspiration.»

La marche a culminé le 4 juin, lors d’un grand rassemblement devant l’Assemblée nationale. Près de 15 000 personnes se sont massées sur la colline Parlementaire et ont formé une haie d’honneur pour accueillir les marcheuses.

«C’est un merveilleux voyage qu’on a fait ensemble, a alors déclaré Françoise David. Cette marche était la marche de tout le Québec au féminin.»

À leur arrivée, le gouvernement du Québec a aussitôt annoncé que le salaire minimum serait majoré de 6$ à 6,45$, ce qui ne correspondait pas aux demandes des marcheuses qui souhaitaient une hausse atteignant 8,15$. La ministre de l’Emploi de l’époque, Louise Harel, a été huée par la foule.

«J’étais contente parce que j’avais beaucoup défendu leurs revendications, a mentionné l’ancienne politicienne. J’étais allée à la limite du possible. J’ai vraiment vécu la différence entre ce qui est souhaitable et ce qui ce qui est réalisable.»

Québec avait aussi accepté d’adopter une loi sur l’équité salariale et une autre sur le prélèvement automatique des pensions alimentaires, en plus de maintenir le gel des droits de scolarité.

«Ce n’est pas si mal quand, au terme d’une marche, on obtient des gains comme cela, a dit Françoise David. Les marcheuses auraient voulu obtenir 100% et je comprends cela. Dans mon discours, je leur ai dit qu’elles pouvaient être fières de ce qu’elles avaient fait. On n’a pas tout obtenu, mais on va continuer nos combats.»

Pour Mme David, le gain le plus important a été le retour de la crédibilité du mouvement féministe. Celui-ci avait été beaucoup malmené au début des années 1990 à la suite de la tuerie à la Polytechnique. Des féministes avaient été lynchées pour avoir dit que le massacre au cours duquel 14 femmes ont perdu la vie était un acte misogyne et sexiste.

«La marche de 1995 est venue montrer à tout le Québec qui était les féministes, a constaté l’ancienne présidente des femmes du Québec. Les 850 femmes qui ont marché étaient des femmes, comme votre belle-sœur, votre voisine ou votre amie. Des femmes décidées à revendiquer l’égalité. Ce n’est pas dramatique là et ça n’a jamais tué personne.»

La Marche du pain et des roses a marqué un nouveau départ au sein du mouvements des femmes du Québec. Celui-ci a initié la Marche mondiale des femmes qui, à tous les cinq ans, permet aux femmes du monde de réclamer l’égalité.

À plus petite échelle, les marcheuses ont aussi remporté une victoire personnelle. Elles ont par la suite commencé une nouvelle carrière ou elles ont entamé des études. Pour Lise Fournier, la Marche du pain et des roses lui ont permis de renaître. «J’ai arrêté de mourir et je me suis mises à vivre», a-t-elle dit. Avec la marche, j’ai appris à connaître mes forces et j’ai découvert vers où je voulais m’en aller.»

Neuf revendications des marcheuses

  • Un programme d’infrastructures sociales avec des emplois accessibles dès maintenant aux femmes
  • Une loi sur l’équité salariale
  • L’augmentation du salaire minimum à 8,15$
  • L’application de la loi des normes minimales du travail à toutes les personnes participant à des mesures d’employabilité
  • Un système de perception automatique des pensions alimentaire avec retenue à la source
  • La création d’au moins 1500 nouvelles unités de logement social par année
  • L’accès aux services et aux programmes de formation générale et professionnelle, avec un soutien adéquat, pour toutes les personnes qui n’étaient pas prestataires de l’assurance-chômage ou de la sécurité du revenu
  • L’application rétroactive de la réduction du parrainage de 10 à 3 ans pour les femmes immigrantes parrainées par leur mari ainsi que la mise sur pied d’un mécanisme d’accès aux droits sociaux pour les femmes
  • parrainées victimes de violence conjugale et familiale
  • Le gel des frais de scolarité et l’augmentation des bourses aux étudiants

Pourquoi la marche du Pain et des roses?
La Marche du pain et des roses a porté ce nom en souvenir des travailleurs immigrantes qui, en 1912, on déclenché une grève dans une usine de textile du Massachusetts après que leur patron eu diminué leur salaire. C’était sa réponse à l’adoption d’une loi qui prescrivait une semaine de travail de 54 heures plutôt que 56. Pendant deux mois, près de 20 000 travailleurs de plusieurs origines ont fait la grève pour demander une augmentation salariale – la diminution salariale était l’équivalent de trois miches de pain – et de meilleures conditions de travail. Une femme a perdu la vie dans ce conflit de travail. Anna LoPizzo aurait été tuée par un coup de feu tiré par un policier. L’employeur a finalement accepté de relever les salaires de 15% et de revoir l’organisation de l’usine.

Info
Un pique-nique de retrouvailles est organisé le 6 juin pour souligner le 20e anniversaire de la Marche du pain et des roses. Il se déroulera de midi à 15h sur le site de l’Assemblée nationale.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.