Pierre Céré: «La politique n’appartient pas aux apparatchiks»
À l’aube d’une nouvelle course à la direction au Parti québécois (PQ), Métro a rencontré l’ex-candidat à la chefferie et coordonnateur du Comité chômage de Montréal, Pierre Céré, qui publie la semaine prochaine Coup de barre, un plaidoyer pour la refondation de la formation souverainiste.
La publication de votre essai tombe à point nommé. Aviez-vous pressenti que Pierre Karl Péladeau quitterait ses fonctions de chef?
Personne n’aurait pu prédire ça. Le livre est rentré aux presses le jour même de la démission de Pierre Karl Péladeau. On a immédiatement retiré le livre des presses pour faire quelques ajustements ici et là. Mais ce n’était pas calculé. Moi, je gageais que PKP se rendait jusqu’aux prochaines élections. C’est un combattant, un tough.
Il ne devait pas y avoir de course à la chefferie. Pourquoi alors avoir écrit sur le PQ?
J’ai voulu raconter ma course à la chefferie de l’an dernier, mais aussi raconter, de l’intérieur, le Parti québécois que j’ai rencontré. Est-il toujours en phase avec la société?
Les apparatchiks du Parti québécois ne voulaient pas de débat durant la course. Le prochain chef était déjà choisi. Au tout début, des candidats pressentis se sont fait dire : «Ne te présente pas. C’est Pierre Karl le prochain chef.» Les forces de la continuité maintiennent ce parti-là fermé, et c’est malheureux. Le projet du Parti québécois, celui de faire du Québec un pays, dépasse largement sa seule intendance. La politique n’appartient pas aux apparatchiks. Il ne faut pas la laisser à ces gens-là.
Au-delà de vos expériences personelles au sein du parti, Coup de barre se lit comme un programme politique. Comptez-vous briguer de nouveau la direction du parti?
On y réfléchit. On attend les règles de l’élection qui doivent être adoptées en fin de semaine prochaine. Mais la proposition de l’exécutif s’annonce assez lourde. On parle de 1 500 signatures à récolter, de la fin mai au 30 juin. Et ce, en plein été, sans assemblée de circonscription… La marge de manœuvre est très étroite. A-t-on quelque chose de plus à apporter que l’année dernière? Le contexte est différent, mais les enjeux restent les mêmes. Le Parti québécois ne peut plus être le Parti québécois.
On vous a accolé en 2015 des qualificatifs qui en disaient long sur votre statut (black horse, marginal, objecteur de conscience). C’est en partie ce statut qui vous a permis d’être un candidat pertinent, mais on ne voulait pas de vous dans cette course…
Est-ce qu’on me voulait ou non? Au départ, j’ai eu le sentiment que ma présence, en divisant le vote de gauche, pouvait faire l’affaire de certains. Mais à partir du débat à l’Université de Montréal le 28 janvier 2015, ils m’ont trouvé rough. Je les ai confrontés sur la charte des valeurs, sur leurs devoirs de cohérence… Comment peut-on, dans l’opposition, proposer des améliorations au régime d’aide sociale alors qu’on a participé aux coupes quand on était au pouvoir de 2012 à 2014? Certains ont avalé la pilule de travers.
Pourtant, en 2014, c’est le PQ qui vient vers vous pour que vous soyez candidat aux élections générales. Vous évoquez que c’était peut-être pour donner à la campagne de Mme Marois un vernis de gauche. Vous êtes-vous senti instrumentalisé?
C’est la perception que j’ai eue. J’avais d’abord refusé l’offre du parti parce que j’avais le sentiment qu’on voulait m’utiliser comme caution de gauche. Au fil des contacts, j’ai accepté. On m’a alors offert quelques circonscriptions et j’ai choisi Laurier-Dorion, où il y a un vote progressiste important et beaucoup de communautés immigrantes. C’est là que je voulais travailler. Par contre, je pensais qu’il y avait une structure du Parti québécois dans la circonscription : une base, des militants, un peu d’argent dans le compte… Rien. Les débuts étaient pathétiques. Même les pancartes n’arrivaient pas! Nous, qui avions déclenché les élections, avons été les derniers à poser nos pancartes.
Vous dites qu’il faut réapprendre à «gagner le cœur des gens…» Y a-t-il un candidat déclaré ou pressenti dans la course actuelle qui peut y arriver?
Je ne prendrai pas parti pour un candidat. Certains veulent incarner le changement et mettent de l’avant de bonnes idées. Mais tous les candidats sont des députés de longue date, et j’ai un problème avec ça. Qu’ont-ils fait, ces huit dernières années? Qu’ont-ils fait face à la dérive identitaire? Qu’ont-ils fait quand on a voulu driller pour du pétrole à Anticosti? Qu’ont-ils fait quand on a coupé dans l’aide sociale? Le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir, mais le parcours de chacun donne quand même de bonnes indications. Actuellement, tous les députés qui s’étaient rangés derrière PKP se rangent derrière Alexandre Cloutier. Est-ce qu’il va pouvoir incarner le changement? Ça va lui prendre beaucoup de courage. Va falloir qu’il tasse bien du monde.
«Le départ de PKP n’est ni une mauvaise ni une bonne chose. Les problèmes du PQ vont bien au-delà du chef. Il y a une vacuité d’idées et de projets. On fait de la vieille politique, de la petite politique.»
Un des constats les plus durs de votre ouvrage est que les luttes sociales ne sont plus l’apanage du Parti québécois.
Au sein du parti, j’ai rencontré beaucoup de gens qui sont encore très connectés. C’est toute l’infrastructure de faiseurs d’images du parti qui n’est ni progressiste ni connectée sur les mouvements sociaux. Quand Québec solidaire a proposé une motion aux autres partis sur le salaire minimum à 15 $, le PQ a refusé. Autre exemple : quand Philippe Couillard s’est opposé au pétrole sur Anticosti, j’avais envie d’applaudir! Au lieu de dire que c’est une bonne orientation, on a affirmé que ça nuirait au développement du Québec. C’est le monde à l’envers. L’opposition devrait être aux barricades contre l’exploitation pétrolière! On a tout le potentiel pour pousser à fond les énergies renouvelables. Fonçons!
Les gens des milieux militants et syndicaux se sont très éloignés. Chez les citoyens aussi, il y a une énorme désaffection. Le PQ a besoin de se ressourcer et de replonger ses racines dans la société civile. On a besoin de comprendre ce qui se passe en éducation, sur le terrain en santé, dans le milieu culturel, dans les régions. Il y a un paquet de chantiers qu’on devrait mettre en place pour capter les forces de la société civile et, par le fait même, nous transformer.
Vous critiquez vertement les initiatives identitaires, comme la charte des valeurs, qui ont selon vous éloigné du PQ les communautés culturelles. Par opposition, vous invoquez la figure de Gérald Godin, le poète politicien qui a su conquérir les communautés immigrantes à Montréal sous René Lévesque. Où sont les Gérald Godin d’aujourd’hui?
Il n’y en a pas. Il y a toujours eu un nationalisme identitaire au PQ, mais il était marginalisé à l’époque. Aujourd’hui, il s’est décomplexé; ses défenseurs ont pris beaucoup de place. Et puis les apparatchiks du PQ n’y croient pas, aux communautés. On m’a cité en exemple une élection où une campagne téléphonique avait été mise en place pour rejoindre les citoyens dans une quinzaine de langues. «On a tout essayé, même leur parler dans leur langue…» On m’a systématiquement dit que je perdais mon temps à aller du côté de Parc-Extension lors de ma campagne dans Laurier-Dorion en 2014. Pour beaucoup de gens du parti, le travail politique se résume aux campagnes électorales. Avant et après, ils ne font rien.
«Quand on instrumentalise la laïcité pour présenter l’immigration comme le nouveau danger, on cristallise quelque chose de très mauvais. Ce n’est pas bon pour le PQ et ce n’est pas bon pour la société. Encore aujourd’hui, ils sont inconscients du mal qu’ils ont fait.»
Au terme de la prochaine course à la chefferie, croyez-vous qu’on assistera à un changement de garde? Certains commentateurs disent que le PQ doit trouver son Justin Trudeau…
Peu importe son âge ou le fait qu’il soit le fils de l’autre, Justin Trudeau a su être novateur. Son programme avait quelque chose de très surprenant et il met en place beaucoup des engagements qu’il a pris, notamment sur la question de l’assurance-chômage et des réformes démocratiques. Prendre l’ancienne chef de l’assemblée des premières nations de la Colombie-Britannique et en faire la ministre de la Justice, ou bien prendre une jeune femme de 30 ans, issue d’une famille de réfugiés afghans, et la nommer ministre responsable des réformes démocratiques, il y a quelque chose de courageux là-dedans.
Vous représenteriez-vous sous la bannière du PQ aux prochaines élections générales?
Si c’est pour un parti qui peut inspirer le changement, oui, sans aucune hésitation. Si c’est la même sclérose qu’actuellement, non.
Le livre se termine sur une lettre à vos fils, où vous parlez entre autres de leur pessimisme face à l’avenir. La leur avez-vous écrit pour combattre leur cynisme?
Les dernières fois qu’on a jasé ensemble, j’ai senti beaucoup de fatalisme chez eux, comme si le monde courait à sa perte et qu’on ne pouvait rien y faire. Et autour d’eux, dans la jeunesse, il y a aussi ce sentiment-là que la politique «c’est de la marde», qu’on se fait fourrer par l’État. Je voulais leur transmettre l’idée qu’on peut changer les choses et y participer. Même dans les périodes les plus sombres – les années Harper à Ottawa ou la grande noirceur au Québec, par exemple –, il y a toujours de l’espoir.
Coup de barre
Éditions Somme Toute
En librairie le 31 mai