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Agression sexuelle par fraude

Photo du chroniqueur Frédéric Bérard avec titre de sa chronique, In libro veritas
Photo: Métro

Le visage sympathique, doux mais assumé. Un brin de candeur, attachant au max, jumelé à une vivacité d’esprit aisément perceptible.

Le gars devant moi, ou plutôt devant mon Zoom, s’appelle Alexandre* (nom fictif). Un étudiant de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, connu l’an dernier, alors que je lui enseignais quelques rudiments de droit constitutionnel. Le genre à se garrocher afin de répondre à la question permettant de remporter l’un des petits livres que je fais tirer dans la classe chaque semaine. Le genre aussi à le lire ipso facto et à l’offrir à ses collègues la semaine suivante. Si ce gars a des ennemis, faudra les chercher. Sur un moyen temps. À la loupe.

La semaine dernière, à la suite d’une discussion en classe sur un potentiel tribunal sur les infractions sexuelles, il m’écrit. La mâchoire, sinon la gueule toute entière me tombe: j’ai récemment été agressé, et je tenais à vous raconter mon histoire. Un Zoom s’organise, histoire de saisir l’ampleur de la détresse. Mission accomplie. Malheureusement, en un sens. Parce que c’est rough.

***

Novembre dernier. Un gars rencontré sur un site quelconque. Écrivain, scénariste, acteur, le tralala. Débarque chez Alexandre. Rapide visite de l’appartement… jusqu’à la chambre. À peine 30 minutes plus tard, terminados. Maintenant seul chez lui, Alexandre angoisse, en raison de l’absence de port du condom. Il texte son précoce partenaire:
-Tu es safe, hein?
-Non, je ne t’ai pas dit, mais je suis séropositif.
-Pardon? !
-T’inquiète, c’est indétectable.
-Quoi ? ! Mais t’avais l’obligation de me le dire!
-Ah, come on, y’a pas de danger.
-Non, pas de come on, tu avais cette obligation ou au moins de mettre un préservatif… avoir su, jamais je n’aurais consenti!
-Hey, sérieux, ne menace pas les gens, it’s not good for your look…

Son look. Ben oui. Voilà très certainement la préoccupation première d’un mec qui, en deux secondes, sent son existence s’écrouler. Furax, il débarque au poste de police pour porter plainte, comme le droit récent lui permet.

Convoqué plus de deux mois plus tard, ses discussions avec les enquêteurs le font rapidement déchanter.
-Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec ça?
-Appliquer le Code criminel.

Après vérifications, celui-ci est sans équivoque. Selon deux décisions de la Cour suprême de 2012, quiconque vivant avec le VIH a une obligation formelle de divulgation avant d’avoir une relation sexuelle anale sans condom, et ce, peu importe sa charge virale. En cas de violation de l’obligation de divulgation, le consentement au rapport sexuel est invalide et l’activité, même consensuelle, est considérée comme une agression sexuelle aux yeux du droit. Simple de même.

-Ouin ouin ouin… Étais-tu saoul ? Et lui ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit avant et pendant l’échange? Tu peux nous en raconter les détails? Quelle est la couleur de ses yeux? De ses cheveux? Y avait-il des logos particuliers, sur ses vêtements ?

Tout ce qui pourrait, finalement, affecter sa crédibilité à titre de victime. Alexandre regrette rapidement sa démarche: «même si l’un des enquêteurs était vraiment sweet, me suis vraiment senti comme de la marde. Deux heures trente d’interrogatoire serré. Comme si j’étais l’accusé. Comme si je pouvais me rappeler du détail de notre discussion avant et pendant notre rapport sexuel. Comme si je pouvais remarquer, ou me rappeler, des fucking logos sur du linge.»

Il me raconte son histoire avec un rare mixte de fatalisme et détermination.
-Pourquoi aimeriez-vous que je raconte l’affaire?
-Pour dénoncer le ridicule du système, éveiller les consciences.
-Fort bien.
-Mais y a autre chose, aussi.
-Oui?
-Je veux le faire aussi pour ma sœur. Elle s’est fait violer, à l’époque, et elle a mis fin à ses jours par la suite. Je traîne toujours ça en moi, à quelque part…

*Une version antérieure de ce texte indiquait le véritablement nom de la victime, avec son consentement. Après publication, la personne a demandé que son nom soit retiré afin de préserver sa vie personnelle.

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