La part du réel
CHRONIQUE – Si j’avais un conseil à prodiguer à un ami souhaitant se diriger en politique, ce serait indubitablement celui-ci: sois fin, affable, et comique. Le reste? Ça va bien aller.
ANALYSE – Parce que tant l’incompétence que le mensonge, sous le vernis de la bonhomie, seront protégés par le paratonnerre de l’approbation populaire. Celle-ci sera aussi, a contrario, inversement proportionnelle eu égard au politicien froid ou condescendant. Non? Un test: si Gaétan Barrette avait occupé les mêmes fonctions que le Dr Arruda, avec bilan semblable? Combien de temps avant que la foule ne réclame sa tête? Deux mois? Moins?
Un petit aveu: je n’ai absolument rien contre la personne d’Arruda, mais tout contre ce que je viens de décrire, i. e. l’appréciation à géométrie variable de l’excellence politicienne. Cette dernière, n’en déplaise, se veut au cœur de la déchéance de nos démocraties actuelles, débandade galvanisée par des médias sociaux valorisant la forme sur le fond, le sympathique sur le résultat. Symptomatique, il va sans dire, d’une société à la sauce téléréalité, de l’instantané et de l’influenceur à tout crin.
Depuis hier soir, la question revient en boucle: a-t-il fait des trucs bien, Arruda, quand même? Il serait, bien entendu, de bon aloi de lui trouver quelques bons coups. Le gars, après tout, s’est déchaîné comme une bête pendant 20 mois, le tout au profit espéré du bien commun. Comme j’ai beaucoup trop de défauts pour être en plus menteur, je refuse la tentation, forte, du racolage après coup. Plate à dire, mais mis à part un rôle de lubrifiant social assurant une meilleure adhésion aux mesures, son bilan relève d’un échec parsemé de mensonges ou demi-vérités.
Encore ces derniers jours, il patinait afin de nous faire gober l’ingobable, soit la dangerosité des masques N95 et des purificateurs au motif d’un loufoque «faux sentiment de sécurité». Comme si Xavier-Antonin, assis dans sa classe de primaire, allait se mettre soudainement à respirer plus fort sachant le purificateur à ses côtés.
Le rapport de la coroner chargée de faire la lumière sur la débâcle des CHSLD risque, à son tour, d’éclabousser sévèrement l’ex-directeur. Pourquoi? Parce que les chiffres désastreux parlent déjà, en matière de morts, d’eux-mêmes. Parce qu’Arruda a lui-même admis ne pas avoir suivi les directives de la santé publique du Canada. Idem pour celles de la Dre Liu, laquelle l’implorait de séparer lesdits CHSLD en zones chaudes et froides. Interrogé dans le cadre de l’enquête, celui-ci a dû admettre «ne pas se souvenir» s’il avait, ou non, transmis une directive semblable au réseau.
Ajoutons à ce qui précède le relâchement des mesures de novembre, irrépressible envie d’un petit karaoké oblige, alors même qu’Omicron était en train de faire flamber l’Occident. Des airs de déjà-vu, non? Dixit Einstein: la définition de la folie est de répéter le même geste et de s’attendre, candidement, à des résultats distincts.
Cette dernière illustration réfère, je crois bien, au fond du problème: l’obsession maladive du gouvernement Legault pour l’électoralisme. Au détriment, trop souvent, de la science. Quelle portion, en fait, de décisions directement issues du bureau d’Arruda? Pourquoi cette mascarade de conférences de presse conjointes, style larrons en foire, alors que l’ensemble des autres provinces canadiennes, fédéral inclus, y vont plutôt de présentations imperméables? Quelle indépendance, à vrai dire, de la part d’un directeur combinant simultanément les jobs antinomiques de sous-ministre adjoint et de directeur national de santé publique?
Qui, à vrai dire, est le réel fautif? Arruda le scientifique ou Horacio le politicien, avalisant l’indéfendable? Reste à voir si, une fois affranchi des chaînes gênantes de la servitude partisane, le docteur acceptera de livrer sa version des faits. Le cas échéant, de bien mauvais augure pour ceux l’ayant instrumentalisé, fallacieusement d’ailleurs, à titre de paravent scientifique et paratonnerre seyant.