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Virginie Blanchette-Doucet: les discrets de la 117 Nord

Photo: Chantal Lévesque/Métro

Au volant de sa Tercel, une jeune femme parcourt les «six heures en moyenne qui séparent Montréal de l’entrée de Val-d’Or». Au cours de ses allers-retours sur la 117 Nord, elle voit défiler l’été, l’automne… «Chaque saison a ses trésors.» Et des trésors, le sol de son Abitibi natale, «trop belle et trop dure», en recèle aussi. Dans son premier roman, Virginie Blanchette-Doucet décrit cet univers en phrases épurées entre les lignes desquelles on décèle des montagnes de sentiments. Qui bouillonnent malgré les non-dits et le calme apparent.

L’exil, l’enfance, les souvenirs, le chez-soi.  «C’est fragile, hein, ces sujets-là?» dit Virginie Blanchette-Doucet en souriant. Oui. Surtout dans le contexte où elle les aborde dans son premier roman : la vente et le déplacement de maisons causés par l’arrivée d’une compagnie minière dans une ville de l’Abitibi-Témiscamingue.

Dans 117 Nord, l’auteure née à Val-D’Or sonde ainsi les secousses de ces événements sur des personnages de peu de mots («Salut.» «Salut.») Pudiques, discrets. Le tout divisé en chapitres aux titres poétiques. Ce qui nous dépossède, Arpenteurs de rien, Francis (t’es où?).

Francis, c’est l’ami de la narratrice. Ou peut-être son amoureux. Ou peut-être son amant. C’est flou. Ça le restera.

Francis restera aussi dans sa maison, placée «du bon côté de la 117 Nord». Toutes les maisons du côté ouest devront être déplacées pour accueillir la mine. Celle de son amie, ou peut-être amoureuse, ou peut-être amante, «se tenant sur la faille», elle décidera de la vendre. Et de partir à Mont­réal. Décision perçue comme égoïste ou insensible par son complice, traître par certains voisins, peureuse selon elle-même. Des perspectives aux antipodes qui reflètent la propre peur de l’auteure d’explorer «un sujet comme celui-là». «Mais ce roman n’est pas une question de polémique; c’est une réalité humaine.»

Ce que ce roman n’est pas non plus : autobiographique. «Il y a de grandes parties inspirées de ma vie, concède-t-elle, mais elles glissent toujours du côté de l’imaginaire. Je ne fais pas de l’autofiction.»

Vrai pourtant : comme sa narratrice, Virginie Blanchette-Doucet est partie et s’est installée dans la métropole en 2009. Mais pas pour les mêmes raisons. Pour étudier.

Aujourd’hui, elle enseigne, entre autres, en francisation au cégep Marie-Victorin. «J’en ai plein, des déracinés, dans mes cours!» En ce moment, ils sont 25. «Une majorité d’Iraniens, une Brésilienne, une Tunisienne, une Syrienne, un Ukrainien…» Avec eux, Virginie a «toujours senti une connexion». Pourquoi? s’est-elle demandé. «La plupart d’entre eux sont partis en raison de la guerre, de la violence. De quel droit, moi, je ressens cet exil-là quand je suis partie à Mont­réal pour aller à l’école?»

«Le silence est fort en émotion, et fort en poésie. C’est une zone de possibilités. Dans le silence, on peut être soit incompris totalement, soit passer dans le beurre, soit tisser des liens très forts.» – Virginie Blanchette-Doucet

Écrire ce premier roman, publié à l’aube de ses 27 ans, lui a en quelque sorte donné, si ce n’est une raison, une façon de comprendre ce lien : «Dans le fond, le sentiment est semblable.» Que l’on parte à deux rues, dans une autre ville, dans un autre pays.

C’est en pensant à ces immigrants, «mais aussi peut-être à tous ceux qui ne viennent pas de l’Abitibi» qu’elle a rédigé son récit. «Je voulais qu’ils puissent entrer dans l’écriture. D’où l’espèce de dénuement de la phrase et la simplicité dans les mots», jumelée à la poésie du quotidien. Comme ces régionalismes qu’elle sème un peu partout. («L’expression lapin trois fois, je pensais que tout le monde la connaissait!») Slalomant entre le «nous», le «je», le «tu». Une façon, dit-elle, de sonder les variantes de l’intimité, de la proximité. «Pour moi, il y a quelque chose de vraiment émotif dans le “tu”. Une adresse amoureuse, quelque chose de chuchoté.»

Parlant de chuchotement, il faut un moment avant que la narratrice soit nommée. Lorsqu’elle l’est, c’est dans la scène de son départ. Celui où elle quitte l’Abitibi au profit de Mont­réal. Où son ami d’enfance lui lance les clés de sa voiture.  «Tout est là, Maude (tiens, c’est comme ça qu’elle s’appelle), tu peux partir.» «J’ai une affection particulière pour les personnages qui sont anonymes longtemps parce qu’on peut se les imaginer comme on veut, remarque l’auteure. Avec un prénom, on pense tout de suite à une personne, à une génération. C’est lourd de connotation. Je pense que, si j’avais osé, je l’aurais enlevé complètement.»

Mais sa protagoniste avait «besoin d’une identité». «C’était important que le JE ne soit pas JE Virginie. Que je puisse mettre le sceau de : “Voici un personnage!”»

Voici aussi une auteure qui nage dans les eaux de l’écriture intimiste. Qui admire Gabrielle Roy, Dany Laferrière et Siri Hustvedt. Qui traduit d’immenses émotions sans pourtant en dire trop. Qui dit toutefois les silences. Ces «conversations muettes», «le silence bourdonnant des oreilles» de Maude. À l’inverse : le bruit de Montréal, «où il me manque le silence des arbres».

«Ça existe, des gens qui n’ont pas envie de tout ouvrir à tout le monde tout le temps, remarque-t-elle. Se montrer pudique, c’est tout aussi intéressant comme façon d’être. C’est vraiment ce type de personnes à qui je voulais donner la parole : à ceux qui ne la prennent pas.»

WEEKEND_Livre 117 Nord_c100117 Nord
En librairie mardi aux Éditions du Boréal
Lancement mardi à 18 h à L’Île noire

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