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La cartomancie du territoire: enquête chez nos voisins invisibles

Photo: Josie Desmarais/Métro

Avec La cartomancie du territoire, le comédien et dramaturge Philippe Ducros nous amène avec lui dans ces lieux peu fréquentés qui ont pour nom Maliotenam, Wemotaci ou Gesgapegiag.

Cette pièce, que son auteur et metteur en scène décrit comme étant «à mi-chemin entre une installation vidéo et du théâtre», se veut une immersion dans la réalité des communautés autochtones du Québec.

«C’est du théâtre documenté plus que du théâtre documentaire comme Les Productions Porte-Parole (J’aime Hydro, Fredy) peuvent en faire, illustre le dramaturge. Ma langue n’est pas celle du théâtre documentaire. Elle est plus poétique, c’est une langue d’artiste. Mais tout ce qui est raconté est tiré de témoignages que j’ai recueillis dans les réserves.»

Après avoir consacré des pièces à l’occupation de la Palestine (L’affiche) et au conflit en République démocratique du Congo (Bibish de Kinshasa), Philippe Ducros a décidé de se pencher sur une réalité beaucoup plus proche (géographiquement, du moins) de la sienne.

«À un certain moment, je me suis dit qu’il fallait que je commence à me poser des questions sur le colonialisme ici, sur mon propre terrain, raconte l’ancien directeur artistique du Théâtre Espace libre. Je devais me questionner sur cet ailleurs, qui est de l’autre côté du pont, de l’autre côté de l’autoroute.»

Au cours des dernières années, il a donc séjourné chez les Innus de la Côte-Nord, les Anishnabes de Lac-Simon, les Micmacs de la Gaspésie et les Inuits du Grand Nord.

«Peu de gens sont allés dans les communautés et savent de quoi ç’a l’air. J’ai décidé dans la pièce de montrer le territoire. Les Premières Nations se structurent et se guérissent beaucoup à travers une réappropriation de leur langue et un retour au territoire. Je crois à cela et je pense que ça s’applique à nous aussi, Québécois blancs. Comment faire pour réfléchir notre contrée si on n’a plus de rapport avec notre territoire, si on n’a plus de rapport avec notre langue?»

«Je crois qu’il doit y avoir un dialogue. Et pour qu’il y ait un dialogue, il doit y avoir des Blancs qui s’intéressent à ce qui se passe dans les réserves.» – Philippe Ducros, auteur, metteur en scène et interprète de La cartomancie du territoire

En compagnie des interprètes Kathia Rock et Marco Collin, tous deux d’origine innue, Philippe Ducros fait revivre sur scène les histoires qu’il a récoltées au fil de ces fréquentations avec les peuples autochtones et leurs territoires : humilitations, dépossession et abus, mais aussi guérison et résilience.

En arrière-plan, les grandioses paysages hivernaux de la Côte-Nord, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Gaspésie, filmés par le cinéaste Éli Laliberté et portés par la musique hypnotique de Florent Vollant.

«C’est important de faire vivre ce qui s’est passé, affirme Philippe Ducros. Il ne suffit pas de parler des pensionnats autochtones, du racisme systémique. Il faut aussi le vivre, le montrer, pour briser l’espèce d’intellectualisme avec lequel on aborde souvent ces sujets. C’est nécessaire pour aller toucher différemment les gens et peut-être ouvrir des portes à l’intérieur de leur esprit. Il faut aller vers une compréhension plus émotive des choses, plus intuitive et moins rationnelle, moins occidentale.»

La cartomancie du territoire est aussi une quête, celle d’un auteur «qui cherche des réponses à son propre épuisement, à ses propres préoccupations intimes et politiques».

«Les Premières Nations apportent certaines réponses, soutient Philippe Ducros. Les siècles derniers ont été ceux de la cosmogonie occidentale: croissance économique, capitalisme, exploitation du territoire, énergies fossiles, colonialisme, etc. On sait où ça nous mène. C’est à l’origine du réchauffement climatique, des inégalités et de cette colère qui nous fait voter pour Trump, Ford et compagnie. Je pense qu’il est temps qu’on commence à regarder les paradigmes des autres peuples. Les Premières Nations ont des choses à nous apprendre. Elles ont une manière différente de lire le monde, l’espace, le temps et le bien commun qui est vraiment intéressante.»

«C’est ça, le rôle de l’art: montrer l’invisible, nommer les choses, établir des concepts, des idées, des émotions à l’intérieur des gens.»

En toute humilité

Comment raconter la dure réalité des peuples autochtones lorsqu’on n’est pas issu de ces communautés? Philippe Ducros s’est souvent interrogé à ce sujet.

«À chacun de mes voyages, chaque jour, je me posais la question, se souvient-il. Je crois qu’il doit y avoir un dialogue. Et pour qu’il y ait un dialogue, il doit y avoir des Blancs qui s’intéressent à ce qui se passe dans les communautés. Mais pour que le dialogue soit réel, il ne faut pas y aller en disant: “Moi, je sais.” J’y allais dans une position d’apprentissage.»

Son statut d’artiste lui a permis d’avoir accès à une intimité qui échappe souvent aux journalistes ou aux voyageurs de passage. «Lorsqu’on dit être un artiste, un auteur, il y a quelque chose qui change dans le regard des gens, raconte-t-il à propos de son expérience sur le terrain. Ils s’ouvrent et se mettent à parler de leurs émotions, de leur vécu.»

En retour, le dramaturge espère que le public qui viendra voir sa pièce s’ouvrira à son tour à cette réalité.

«J’aimerais que les gens découvrent des choses et continuent à s’y intéresser. Je voudrais qu’on se rende compte de l’ampleur du problème, qu’on fasse preuve d’humilité et qu’on ait le désir d’en apprendre plus d’eux.»

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