«Rire de ce qui fait mal»
Drôle, la culture du viol? Ce n’est certainement pas le premier mot qui vient à l’esprit.
C’est toutefois le pari audacieux que relève un groupe d’humoristes – incluant Léa Stréliski, Rosalie Vaillancourt, Coco Belliveau, Catherine Éthier et plusieurs autres – qui présentera le spectacle F*ck la culture du viol ce soir à l’Olympia dans le cadre du Grand Montréal comédie fest, qui a justement été créé dans la foulée de l’affaire Gilbert Rozon.
Métro s’est entretenu avec Judith Lussier, qui en assure l’animation aux côtés de Richardson Zéphir.
Comment faites-vous pour rire d’un sujet aussi délicat?
C’est le défi qu’on s’est donné et je pense que le secret, c’est de se placer du côté des victimes. On veut rire des dynamiques de pouvoir, des «jokes de mononcle» et de tout le climat qui fait en sorte que les agressions sexuelles sont possibles et sont aussi difficiles à dénoncer. Parce que c’est ça, la culture du viol : c’est un ensemble de comportements, d’attitudes et de paroles qui banalisent les agressions sexuelles. On ne veut pas ridiculiser les victimes d’agression sexuelle, comme d’autres humoristes l’ont fait, dans une démarche avec laquelle je ne suis pas nécessairement d’accord.
Faites-vous référence à un
événement en particulier?
Sans les nommer, il y a des humoristes qui se sont fait reprocher de participer à la culture du viol parce qu’ils ont fait des blagues maladroites dans lesquelles ils riaient des victimes d’agression sexuelle. Je pense qu’on peut rire de ces sujets-là, mais que le rôle des humoristes est de s’en prendre à ceux qui tiennent le gros bout du bâton. C’est le pari qu’on fait, celui de rire de ce qui fait mal. Notre spectacle libère la tension entourant ce sujet, ça soulage un peu. On peut aborder la question sans tomber dans le drame, et ça fait du bien.
Comment les humoristes invités traitent-ils de la culture du viol pour ne pas tomber dans le drame?
C’est peut-être dur à croire, mais avec leur grand talent, les humoristes arrivent à nous faire rire en parlant de ces sujets-là. Il y a deux humoristes dans le spectacle qui parlent ouvertement d’agressions qu’elles ont vécues et qui arrivent à en tirer du drôle. C’est la grande force des humoristes.
Le Grand Montréal comédie fest a été créé tout de suite après l’affaire Rozon. Est-ce que c’était important pour vous de présenter F*ck la culture du viol dans le
cadre du festival?
Je pense que c’était une bonne idée de leur part de nous inviter! Si tu te présentes comme un nouveau festival d’humour qui veut faire les choses autrement, il faut que tu sois à l’écoute des voix qui parlent d’un tel sujet. En plus, étant donné le sujet et le propos de notre show, celui-ci est composé en majorité de femmes humoristes, qui demeurent moins nombreuses que les humoristes gars.
Avez-vous des attentes ou des angoisses pour ce soir?
C’est sûr que le public qui est venu nous voir à la Sala Rossa [pour les trois premières représentations, NDLR] était vraiment «de notre bord». Cette fois-ci, on s’adresse à un plus grand public, j’ai hâte de voir les réactions. Ça ne m’angoisse pas; je pense que les gens vont découvrir que, étonnamment, on peut rire d’un tel sujet.
Et vous, vous vous plaisez sur scène?
Oui! C’est quelque chose que je découvre et que j’adore. C’est une tout autre façon d’aborder les enjeux sociaux que dans la chronique [notamment pour Métro]. Je le faisais avec beaucoup d’émotivité, et parfois de colère. Maintenant, je monte sur scène et je fais des jokes. C’est complètement différent et ça fait du bien, c’est vraiment une révélation, une découverte pour moi!