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Le retour de la bd Alix

Photo: Collaboration spéciale

Coup de tonnerre chez les fanas de bd : Alix revient ! Il est désormais âgé de 50 ans et occupe le poste de sénateur à Rome dans un décor cinématographique signé Thierry Démarez. Discussion épistolaire avec la nouvelle scénariste du héros imaginé en 1948 par Jacques Martin, l’historienne et bédéiste Valérie Mangin.

Les héros de bédé ont généralement un âge fixe. Ou alors, on nous les présente dans leur jeunesse (Archie, Rahan). Vous avez fait le pari inverse. Dans quel contexte est apparue cette idée, ma foi, captivante?
Quand Reynold Leclercq (notre éditeur chez Casterman) m’a demandé si j’avais des idées pour Alix, je ne me suis pas vue poursuivre la série existante. Elle continuait très bien sans moi. Je ne voyais pas ce que je pouvais lui apporter de neuf. Alors, nous avons beaucoup discuté avec Denis Bajram (mon mari, auteur d’UW1).

Nous avons pensé aux auteurs de comics américains qui n’hésitent pas à renouveler régulièrement leurs héros afin qu’ils demeurent actuels. Ce qui nous a donné envie de faire un Alix «next generation» ancré en 2012. Pour cela, on devait se décaler par rapport à la série mère. Et comme Jacques Martin propose un personnage très jeune, nous ne pouvions que vieillir Alix.

Les nouvelles aventures abandonnent la ligne claire pour un dessin contemporain et cinématographique. Est-ce que cette décision a fait l’objet d’un débat entre l’équipe de création et la maison d’édition?
Non, adopter un dessin réaliste faisait partie du projet initial que nous avons proposé à Casterman et au comité Martin (Frédérique et Bruno Martin, Simon Casterman et Jimmy Van den Hautte). Pour nous, le changement de graphisme était indispensable, intrinsèque au renouvellement de la série. Nous avons d’ailleurs été très bien compris. Tout le monde a approuvé ce choix immédiatement.

On remarque une scène plutôt suggestive ; celle ou les enfants d’Alix participent à une orgie. Vous avez hésité avant de la coucher définitivement sur papier ?
Non. En fait, j’ai écris cette scène en pensant à l’ouverture du Fils de Spartacus (le tome 12 de la série). On y voit Alix et ses amis participer à un grand banquet très arrosé. Évidemment, le Satiricon de Fellini n’est pas loin non plus, même si nous sommes restés très grand public finalement.

Aviez-vous carte blanche de la part des héritiers de Jacques Martin ?
Nous devions soumettre l’intégralité de notre travail au comité Martin. Mais il a accepté notre projet sans restriction aucune. Nous avons eu une liberté totale de création finalement.

Quelle serait, selon vous, la part de votre sensibilité d’auteure féminine dans cet Alix nouvelle mouture?
Je ne crois pas vraiment à la sensibilité féminine. Chaque auteur a sa personnalité et son propre ressenti, qu’il soit homme ou femme. J’ai surtout abordé Alix en historienne, en auteure de bédé expérimentée et en fan de la série d’origine depuis mon enfance. Tout cela a dû avoir beaucoup plus de poids que mon sexe.

On remarque un intérêt pour le vraisemblable politique, dont, notamment, le calcul des intérêts personnels. Avez-vous étudié la science politique ?
Pas particulièrement mais j’ai beaucoup étudié l’histoire occidentale. C’est une bonne école pour comprendre le jeu des intérêts personnels au sommet d’un État.

Devenu un homme mûr, Alix s’éloigne du héros sans peur ni reproche pour s’humaniser, devenir un pauvre mortel…
Il s’humanise, certes, mais il reste tout de même un héros. C’est toujours l’aventurier prêt à parcourir la Méditerranée, à affronter les mystères et les tragédies de son époque. Simplement, il a vécu des années très difficiles depuis sa jeunesse. Il a connu les guerres civiles qui ont déchiré Rome et puis il est devenu père. Il a gagné en complexité et en maturité. Il ne peut plus être le boy scout d’autrefois.

Question typiquement québécoise : pourquoi avoir intitulé l’album «Senator», un terme anglais, plutôt que «Sénateur»?
C’est vrai que « Senator » sonne anglais depuis Gladiator et autre Terminator… Mais il s’agit en fait d’un mot latin, l’équivalent de notre sénateur. Ce genre de surnom était très courant à Rome. Ainsi Fabius Maximus, le grand adversaire d’Hannibal fut surnommé «Cunctator», le «temporisateur» parce qu’il adopta une stratégie de guérilla contre les Carthaginois au lieu des grandes batailles que les Romains affectionnaient d’habitude.

Vous révélez des détails hyper intéressants et fort documentés sur les us et coutume de l’Empire romain. Vos recherches ont sans doute été très fastidieuses. Sur quel corpus (films, livres, télésérie ou autres documents) vous êtes vous appuyée ?
Il est très varié. Pour les décors Thierry s’est appuyé sur le travail de Gilles Chaillet sur la Rome des Césars. Mais il s’agit de la ville de la fin de l’Antiquité : il a donc fallu s’adapter, regarder d’autres plans, d’autres maquettes. De mon côté, j’ai la chance d’avoir fait des études d’Histoire. Je sors de l’Ecole des Chartes. Je possède une bonne culture de l’Antiquité et une imposante bibliothèque.

L’anecdote de l’aigle rendant son morceau de pain à Octave est issue de Suétone, un historien antique par exemple. Le personnage d’Auguste lui-même doit beaucoup à la biographie de Pierre Cosme…On a regardé les séries récentes aussi, comme Rome. Mais ces auteurs ne sont pas toujours aussi fiables qu’on pourrait s’y attendre. Il faut être très méfiant de toute façons et tout vérifier tout le temps.

Valérie, quelles sont vos projets bédéesques ?
J’espère continuer à raconter un moment les aventures d’Alix Senator mais je garde du temps aussi pour des projets plus pointus. De janvier à mars prochain, je vais publier les trois tomes d’un triptyque chez Aire Libre : Abymes, comme la figure stylistique « mise en abyme ». Le tome 1 dessiné par Griffo raconte un épisode de la vie de Balzac. Le romancier découvre un étrange feuilleton qui raconte son propre passé et il se met à rechercher son auteur à ses risques et périls. Dans le tome 2, illustré par Loïc Malnati, Henri-Georges Clouzot réalise un film sur Balzac et sa mésaventure.

Mais des roughs qu’il n’a pas tournés le montrent sous un jour peu reluisant. Enfin, dans le dernier album dessiné par Denis Bajram, une jeune étudiante, Valérie Mangin, découvre 2 albums de BD appelés Abymes et apparemment écrits par une homonyme. Vous l’avez compris, ce dernier tome est aussi une autofiction.

Alix Senator
Aux éditions Casterman
En librairie

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