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La grandeur des petits drames

Photo: Danny Taillon

Jamais deux sans trois, dit le dicton. Après le court métrage La coupe en 2014 et le documentaire 
Bienvenue à F.L. en 2016, la cinéaste Geneviève Dulude-De Celles poursuit son exploration de l’adolescence 
– et conclut par le fait même sa «trilogie soreloise» – avec son premier long métrage de fiction, Une colonie.

Mylia (Émilie Bierre), jeune 
adolescente qui vit dans un rang de campagne dans la région de Sorel-Tracy, est terrorisée par son entrée à l’école secondaire. Elle ne le dit pas explicitement, mais on le sent viscéralement dans ses gestes et ses regards.

Comme beaucoup d’ados, elle est tiraillée entre piler sur ses principes pour être acceptée par la gang populaire et rester soi-même, au risque d’être jugée impitoyablement par les autres élèves.

Elle est aussi déchirée entre cette nouvelle vie remplie de premières expériences et son envie d’être présente auprès de sa petite sœur, à un moment où l’équilibre familial s’effrite à la maison.

Tous ces petits drames qu’elle traverse forment la trame d’Une colonie, qui dépeint avec une justesse désarmante et une tendresse bouleversante l’inconfort du passage de l’enfance à l’adolescence.

«Pour le commun des mortels, ce qu’on vit est tout à fait anecdotique, alors que dans une position plus intérieure, un mot ou un geste peut être dramatique», analyse Geneviève Dulude-De Celles, qui présentera son film à la Berlinale la semaine prochaine après avoir récolté quelques prix sur le circuit des festivals, dont ceux du Meilleur long métrage canadien, de la Meilleur réalisation et de la Meilleure interprétation (Émilie Bierre) au Whistler Film Festival, de même que le Grand Prix et le Prix du public (long métrage canadien) au plus récent Festival de cinéma de la ville de Québec.

L’idée de faire un film sans grand bouleversement plaisait à la réalisatrice, qui a été fortement marquée par le long métrage Call Me By Your Name, qui raconte les premiers émois amoureux d’un adolescent.

«Tout au long de ce film, j’attendais un drame : il va se faire surprendre par ses parents, il va y avoir une crise à la maison, mais non! Ça n’est jamais arrivé et ça m’a soulagée. Car les moments de tendresse, de résilience ou d’empathie sont aussi forts que des crises. Ça n’enlève rien au personnage qui vit un drame quand même. La rupture avec quelqu’un qu’on aime peut être infiniment tragique, de la même manière qu’errer seule dans une école secondaire sans savoir où aller est tragique».

En très peu de mots, le personnage de Mylia réussit à nous faire vivre une gamme d’émotions. «Mylia parle à travers son corps et ses yeux», résume la cinéaste au sujet de cette jeune introvertie.

Son intériorité contraste avec l’énergie pétillante de Camille 
(Irlande Côté), sa petite sœur à la répartie du tonnerre. «Pis, t’es-tu faite un chum?» lui lance-t-elle candidement au retour de sa première journée de 1re secondaire. «Par son énergie et son innocence, la petite sœur vient représenter l’enfant que Mylia n’est plus», commente la cinéaste.

La personnalité réservée de la jeune fille détonne aussi avec celle très extravertie de Jacinthe (Cassandra Gosselin-Pelletier), sa nouvelle amie très dégourdie et sûre d’elle. Sous son aile, Mylia vit une série de premières fois, comme toute adolescente : premier party, premier slow, premier french.

«La vie est tellement complexe! Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc 
et souvent, même dans les moments les plus difficiles, il y a de la douceur. Je voulais transmettre ça dans le film.» – Geneviève Dulude-De Celles

À aucun moment, la caméra de Geneviève Dulude-De Celles ne porte de jugement sur les actions des personnages, quels qu’ils soient. «Je veux juste montrer ces réalités, explique la cinéaste. Je ne condamne pas 
Mylia qui s’habille sexy à l’Halloween, ni son amie qui l’entraîne à le faire, parce qu’elle le fait en partant d’une bonne intention, elle veut être fine!» dit-elle en échappant un rire.

De la même façon, elle ne juge pas ces élèves qui se moquent de Jimmy (Jacob Whiteduck-Lavoie), un jeune Autochtone de la communauté d’Odanak, avec qui Mylia se lie d’amitié.

Dans une scène d’une tension quasi insoutenable, ce dernier est confronté au point de vue colonisateur d’un livre d’histoire utilisé en classe, de même qu’à l’ignorance de ses camarades.

Geneviève Dulude-De Celles reconnaît avoir été longtemps inconsciente des réalités autochtones. «Cet apprentissage que fait Mylia a aussi été le mien», dit celle qui a réalisé l’ampleur de sa «méconnaissance» en travaillant pour le Wapikoni mobile.

Au-delà de la critique de l’enseignement de l’histoire, la cinéaste a voulu mettre en scène un personnage qui fait de sa marginalité une force. «Jimmy s’assume comme il est. En faisant Bienvenue à F.L., j’ai rencontré plein de jeunes comme lui, qui choisissent d’afficher leur différence pour s’affranchir.»

C’est d’ailleurs grâce à son travail de documentariste que Geneviève Dulude-De Celles a réussi à capter avec un réalisme aussi saisissant l’essence de l’adolescence dans Une colonie.

Dans son œuvre précédente, la cinéaste avait planté sa caméra dans les corridors de l’école secondaire Fernand-Lefebvre, qu’elle a elle-même déjà fréquentée.

Cette incursion dans le quotidien d’adolescents québécois a nourri le scénario de sa fiction. «C’est sûr que ça a teinté l’écriture, dit-elle. J’avais de vraies personnes en tête quand j’écrivais les dialogues, quand je développais leur phrasé et leur façon de s’exprimer.»

Geneviève Dulude-De Celles avait d’abord abordé cette période si particulière de la vie dans son court métrage 
La coupe, primé au festival de Sundance, qui mettait également en scène une jeune fille entre deux âges. Après son documentaire, elle a voulu approfondir son exploration.

«Il y a une limite dans le documentaire que la fiction permet de traverser», dit-elle, citant en exemple deux scènes d’Une colonie où on suit la jeune Mylia alors qu’elle se réfugie dans une cabine de toilette. «Je n’aurais pas pu aller chercher cette intimité dans un documentaire!»

Plus que le portrait de l’adolescence, c’est le rite de passage qui fascine la cinéaste. «C’est une période de changements importants, c’est un âge où on est appelé à se définir.»

Mais pour son prochain film, Geneviève Dulude-De Celles changera totalement de registre. «Je vais sortir de l’hyperréalisme pour toucher un peu au fantastique et au thriller», révèle-t-elle.

Ainsi, Une colonie vient conclure ce que la cinéaste appelle à la blague sa «trilogie soreloise».

Un peu d’info

Une colonie
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dès aujourd’hui

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