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Le modèle dans l’atelier: le nu, envers et contre tous

Nu féminin endormi (1940), du peintre montréalais Louis Muhlstock (1904-2001) Photo: Musée des beaux-arts de Montréal

Au début du XXe siècle, des artistes montréalais ont défié les conventions de leur époque en choisissant le nu, parfois au prix de la censure. De l’esquisse au dessin abouti, une sélection de leurs œuvres est exposée pour la première fois au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).

La nouvelle exposition Le modèle dans l’atelier regroupe plus de 70 nus réalisés entre 1880 et 1950 par une trentaine d’artistes montréalais et français, incluant 5 femmes.

En août dernier, le MBAM s’est plaint d’avoir vu une de ses publicités montrant des nus de Picasso retirée par Facebook. Le phénomène ne date pas d’hier.

Au tournant du XXe siècle, l’art canadien se révèle très conservateur en matière de nudité. Contrairement à leurs collègues français, les quelques modèles masculins de Mont­réal couvrent leurs parties génitales avec un pagne ou un jock-strap.

Des revues et des manuels d’art ont modifié certaines œuvres jugées trop obscènes afin de pouvoir les publier.

Un prêtre du collège Jean-de-Brébeuf a par exemple recouvert d’encre un pastel de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, une des pièces maîtresses de l’exposition, qui apparaît dans un ouvrage appartenant à l’établissement jésuite.

Pour se faire accepter du public, les créateurs vont aussi donner des titres trompeurs aux tableaux scandaleux ou camoufler les parties du corps sous un paysage naturel.

«Montrer la représentation du corps, c’est ce qui témoigne le plus de notre humanité.» – Jacques Des Rochers, commissaire de l’exposition Le modèle dans l’atelier

Le nu féministe
La femme domine les salles d’exposition, mais le plus souvent comme modèle soumis au désir masculin.

Et quand les dames sont enfin admises à l’académie, elles peuvent seulement dessiner des modèles drapés, car ceux entièrement nus sont réservés aux hommes.

Certaines Montréalaises sont tout de même parvenues à s’imposer dans le nu, signant sous un pseudonyme des toiles revendicatrices de leurs droits et de leur sexualité.

«Il faut comprendre que, dans les années 1920, les nus les plus contestés par la presse et l’élite masculine étaient ceux réalisés par des femmes», indique le commissaire de l’exposition, Jacques Des Rochers.

L’huile miniature de Jori Smith fait partie de ces œuvres qui ont contribué à la libération de l’image féminine.

«Elles étaient lasses d’être représentées comme des objets sexuels à travers la vision de l’homme, mais en même temps, elles cherchaient à se dépeindre. Ce qui était problématique dans les choix qu’elles ont faits, c’était de s’affirmer avec des éléments de modernité: porter du vernis à ongles, se vêtir de lingerie et exhiber des poils pubiens (jamais montrés à l’époque). Elles plaçaient aussi le sujet dans l’intimité d’un appartement au lieu de l’atelier public. Tout là-dedans servaient à s’affirmer. Les tableaux ont donc été considérés comme des femmes déshabillées, et pas comme des nus. Autrement dit, si ces œuvres avaient été exposées durant cette période, on aurait qualifié ces femmes de prostituées», explique le conservateur de l’art québécois et canadien avant 1945 du MBAM.

Le corps, vu autrement
Suivant la mission inclusive que s’est donnée le MBAM, des modèles controversés se démarquent de la majorité de corps blancs exposés.

La fleur des bois de Louis-Philippe Hébert offre une version amplement romancée d’une Autochtone, tandis que les esquisses sensibles de Prudence Heward mettent en scène des silhouettes de femmes noires.

«C’est quelque chose qu’on voulait inclure dans l’exposition, dans la mesure où on pouvait le trouver», soutient Jacques Des Rochers.

Sur une gravure de Ernst Neumann, on peut aussi apercevoir plusieurs peintres issus de la communauté juive de Mont­réal en train d’admirer la musculature atypique d’un lutteur populaire. Accrochée tout près, une autre gravure du même artiste sort le nu de son créneau sensuel en déshabillant une femme désespérée par la misère de la Grande Dépression. 

Seule œuvre contemporaine de l’ensemble, la photographie de Donigan Cumming marque le point d’orgue de l’exposition. Sur le cliché datant de 1992 figure un duo qui brise les tabous autour de la déchéance du corps et des standards de beauté.

«C’était important pour moi de voir un couple aussi émouvant qui casse les stéréotypes du sexe, de l’âge et du vieillissement», soutient le conservateur.

À noter qu’une grande partie des croquis se trouvent rarement sous les projecteurs d’une galerie, ne pouvant être exposés qu’une fois chaque cinq ans pour des raisons de conservation.

L’exposition Le modèle dans l’atelier est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 5 mai 2019.

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