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Nous sommes Gold d’Éric Morin: Poussière d’or

Le musicien Philippe B et le cinéaste Éric Morin Photo: Josie Desmarais/Métro
Marie-Lise Rousseau - Métro

«Souvent, j’arrive avec des idées sur l’esthétique avant de connaître ma trame narrative», avance Éric Morin. Ainsi, avant même de savoir que son film Nous sommes Gold porterait sur les commémorations d’un effondrement minier ayant fait 68 victimes 10 ans plus tôt, le cinéaste savait que ses protagonistes feraient partie d’un groupe rock.

Pour avoir un «band crédible», il a fait appel à son vieil ami Philippe B, avec qui il a lui-même fait partie d’un band jadis: Gwenwed.

«Toutes les idées qui me nourrissaient étaient autour d’un band, sans que l’histoire du film ne soit celle du band, précise le réalisateur. Très peu de temps après, j’ai eu l’idée de l’incident minier. Je voulais que les trois personnages aient vécu un drame commun, mais qu’ils aient des trajectoires différentes.»

Ces trois personnages sont Kristoff (Emmanuel Schwartz), Kevin (Patrick Hivon) et Marianne (Monia Chokri). Alors que cette dernière a fui son Abitibi natale après avoir perdu ses deux parents dans la tragédie – et est entre temps devenue bassiste d’un groupe rock qui a du succès –, les deux autres ont choisi de rester dans la région. Le premier est prof d’histoire au secondaire, alors que le second, seul survivant du drame, surnommé Le Survivor, en conserve de graves séquelles.

À l’occasion du retour de Marianne dans cette communauté encore traumatisée par le terrible accident, les trois amis renouent derrière leurs instruments, reformant momentanément le groupe de leur jeunesse, nommé Gold.

Avec le scénario en main, Philippe B, qui avait aussi composé la trame sonore du précédent film de Morin, Chasse au Godard d’Abbittibbi, a cette fois carrément créé un mini-album de chansons du groupe Gold – «un genre de EP de band cohérent», résume-t-il –, qui peut très bien s’écouter sans qu’on ait vu le film, mais qui prend tout son sens dans son contexte.

«En composant cette trame sonore, J’ai pu aller dans des affaires super romantiques que je n’écrirais jamais pour moi, mais qui collent aux personnages. Comme Quand j’écris des chansons pour d’autres artistes.» – Philippe B, musicien

«En lisant le scénario, j’ai pu me faire une idée des personnages, de ce qu’ils vivent, et je me suis basé là-dessus. J’ai cherché à exprimer la relation amoureuse non dite que Kristoff vit, et aussi sa relation amour-haine avec sa ville, qu’il trouve laide. J’ai développé le tout en fonction de son attitude, dans ce cas-ci un peu cocky, très romantique et fataliste.»

Éric Morin n’a que de bons mots pour le travail de son collègue et ami, qui a réussi selon lui à intégrer les chansons à la trame narrative du film. «Si t’es parfaitement bilingue, les paroles des chansons aident à mieux saisir l’histoire. Si tu ne l’es pas, tu les reçois comme quelque chose de poétique et de ressenti. Philippe a eu des super flash métaphoriques, qui amènent les images ailleurs.»

Les comédiens Emmanuel Schwartz et Monia Chokri prêtent leur voix aux chansons. «Au départ, j’ai casté des musiciens qui savaient un peu jouer pour le film. Mais à mesure que le scénario avançait, c’est devenu clair que je devais avoir le top niveau de jeu, parce que, finalement, c’était vraiment une bonne histoire», relate Éric Morin.

Pour Philippe B, l’objectif était non seulement de composer de bonnes chansons, mais aussi que l’ensemble soit crédible. «Que la sorte de musique qu’ils font marche avec qui ils sont, avec leur attitude.»

La sorte de musique qu’ils font, c’est du rock indé à tendance lourde. Éric Morin avait en tête des groupes britanniques issus de villes industrielles «un peu mornes». Il nomme Joy Division à titre d’inspiration. «J’ai fait des propositions à Philippe dans ce mood, très connecté à celui du film.»

En effet, malgré quelques moments qui font sourire (on pense à l’urne format pot de chambre de Marianne), l’ensemble est plutôt sombre, tant dans le fond – posant un regard critique sur les commémorations de drames – que dans la forme.

«En retournant habiter sept ans en Abitibi, je n’ai pas essayé de convaincre quiconque que c’est bon ou pas les mines, mais leur présence a eu un effet sur moi et a défini mon rapport au territoire. C’est pourquoi j’ai préféré retourner vivre à Mont­réal», confie Éric Morin, qui présente différents points de vue sur cette question dans Nous sommes Gold.

La trame sonore habite l’ensemble du film et s’arrime à merveille aux nombreux plans aériens et contemplatifs du territoire, montrant la mine et la forêt, éléments emblématiques de l’Abitibi, que Philippe B et Éric Morin connaissent bien, ayant tous deux grandi à Rouyn-Noranda.

Le musicien a d’ailleurs eu recours à des matériaux qui rappellent ce côté industriel de la région lors de l’enregistrement. «J’ai travaillé la matière avec l’idée que, si tu regardes du sable, de la roche ou du métal, c’est ça que t’entendrais.»

Son plus grand défi, dit-il, a été de composer seul les morceaux d’un groupe. «J’ai essayé de recréer une dynamique de rock dans un contexte pas rock du tout! C’est pas pour rien que je fais des tounes tranquille quand je suis seul chez moi avec ma guitare, dit-il. On est influencé par un contexte. Là, je devais me visualiser avec un groupe et un drummer punk un peu crinqué!»

L’expérience d’écriture en anglais s’est par ailleurs avérée enrichissante. «C’est un exercice de style intéressant. J’ai tout un nouveau champ lexical», dit-il.

Bien que l’aventure lui ait permis de replonger dans un univers musical familier, ne vous attendez pas à ce que le prochain album de Philippe B donne dans le rock anglo sombre pour autant. «Je ne me considère pas comme un véhicule crédible de rock, lance-t-il en riant. Je peux faker une toune de punk chantée par quelqu’un d’autre dans un film, mais moi, sur un stage genre: “Yeah, j’suis punk!”… C’est non!»

Si la trame narrative du film n’a absolument rien d’autobiographique, l’expérience du cinéaste dans un band lui a permis de représenter la relation entre les musiciens de façon réaliste. «Il y a certaines anecdotes qu’on a déjà vécues. Sinon­, notre histoire avec Gwenwed était moins intéressante!»

En début de film, le barman interprété par Fabien Cloutier dit aux protagonistes : «L’âge d’un band, faut que tu comptes ça en années de chien.» Les deux amis acquiescent. Comme le décrit Philippe B, un groupe de musique est «un contrat social entre individus difficile à maintenir. Si tu fais ça pendant 20-30 ans, c’est une réussite humaine, c’est un exploit en soi.»

Plusieurs facteurs influent sur la longévité d’un groupe de musique, notamment la dynamique entre les membres, qui est bien représentée dans Nous sommes Gold. Le film montre également comment les aléas de la vie interfèrent dans celle d’un groupe, ajoute-t-il. «Ce band s’est séparé à cause d’un accident minier qui n’a rien à voir avec eux… La vie fout le bordel dans plein d’affaires.»

Nous sommes Gold prend l’affiche dès vendredi. Mini-album aussi disponible.

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