Soutenez

Printemps adolescent dans le cinéma québécois

Ève-Marie Martin dans Mad Dog Labine Photo: Collaboration spéciale
Marie-Lise Rousseau - Métro

Un vent de jeunesse souffle sur le cinéma québécois. Seulement depuis deux mois, plusieurs longs métrages mettant en vedette des protagonistes adolescents ont pris l’affiche. Qu’est-ce qui explique l’intérêt des cinéastes pour l’âge ingrat? Métro en a discuté avec quelques-uns d’entre eux.

En l’espace de quelques semaines à peine, les films Une colonie, Avant qu’on explose, Dérive et Genèse ont pris l’affiche au Québec. Et on ne parle pas de Charlotte a du fun, La chute de Sparte ou Chien de garde, notamment­, sortis l’an dernier.

Ce vendredi, c’est au tour de Mad Dog Labine, des réalisateurs Jonathan Beaulieu-Cyr et Renaud Lessard, de sortir en salle. Ce film suit Lyndsay Labine, «jeune fille de 13 ans, tomboy, sauvage, qui sacre», comme la décrit Renaud Lessard, laissée à elle-même par sa famille partie en fin de semaine de chasse.

«On a l’impression qu’il y a peut-être quelque chose qui se trame au Québec», avance le cinéaste quand on lui parle du grand nombre de films mettant en scène des protagonistes­ adolescents.

«C’est vrai qu’en ce moment, il y a beaucoup de similarités dans ce domaine, mais je ne pense pas que Mad Dog Labine ressemble à ces films sur le plan formel­», poursuit-il.

En effet, la démarche créatrice derrière ce long métrage est plutôt singulière, se rapprochant de celle du documentaire. Les cinéastes ont séjourné dans la région du Pontiac, où se déroule l’action de leur film, pour y recruter des acteurs non professionnels.

«Avec Mad Dog Labine, On est loin des coming of age habituels. C’est un road trip. tout ça est magnifié avec une énergie Très fidèle à celle de l’adolescence.» –Renaud Lessard, coréalisateur de Mad Dog Labine

Cette première expérience au grand écran des jeunes Ève-Marie Martin et Zoé Audet, qui incarnent Lindsay et son amie Justine  – dont le véritable nom est Justice, gracieuseté de ses parents hippies –, confère fraîcheur et authenticité au film.

«On savait qu’on voulait­ faire les choses différemment, qu’on aurait une certaine fougue et une méthode­ collaborative. On allait dans une région qui, elle aussi, en était à ses premières expériences de cinéma. Tout ça était très adolescent dans l’énergie», poursuit Renaud Lessard.

La rencontre avec les ados du Pontiac, région située à mi-chemin entre l’Outaouais et le Témiscamingue, a donné toute sa couleur au film, assure le cinéaste. «C’est en rencontrant les jeunes sur place que les personnages se sont développés.»

Le scénariste d’Avant qu’on explose, Éric K. Boulianne, souhaitait lui aussi montrer l’adolescence sous un angle rarement exploité au cinéma québécois : celui de la comédie. Son objectif? Rejoindre les principaux intéressés.

«J’ai l’impression que c’est une tranche d’âge à laquelle on ne s’adresse pas beaucoup dans le cinéma­ québécois, pas dans la comédie du moins. Aussi, je suis un grand fan de comédies adolescentes américaines», avance-t-il, citant en exemple Superbad et la filmographie de Judd Appatow.

Fait intéressant, les jeunes fréquentent beaucoup les salles de cinéma, mais consomment presque exclusivement des productions hollywoodiennes. «Moi-même à cet âge, je ne me reconnaissais pas dans l’offre québécoise, je trouvais que ça s’adressait à un public plus vieux.»

C’est donc avec la mission de rejoindre un public jeune qu’il a écrit le scénario d’Avant qu’on explose, qui explore la quête de Pierre-Luc (Étienne Galloy), ado de La Malbaie cherchant à tout prix à perdre sa virginité avant la fin du monde, qu’il anticipe en raison des tensions croissantes entre la Corée du Nord et des États-Unis.

«Avec Rémi [St-Michel, réalisateur], on ne voulait pas s’empêcher d’être sur la fine ligne entre le drame et la comédie. Ce qu’on cherche, c’est une humanité, une vérité, et on n’a pas peur que ça ne soit pas drôle.»

Pas besoin de faire rire à tout prix pour rejoindre les ados, soutient-il. «Jeune Juliette [qui prendra l’affiche au cours de l’été] a l’air super rafraîchissant comme proposition, et j’ai vraiment trippé sur Charlotte a du fun l’an dernier. Même un drame comme Une colonie s’adresse aussi aux jeunes.»

Ce dernier film, qui a récolté les statuettes de Meilleur film et de Meilleure actrice dimanche dernier au gala des Prix Écran, montre avec finesse, sensibilité et justesse les premiers pas au secondaire de Mylia (Émilie Bierre), jeune fille introvertie.

Le caractère de vérité qui se dégage d’Une colonie n’est pas un hasard : sa réalisatrice Geneviève Dulude De-Celles avait auparavant consacré un court métrage (La coupe), puis un documentaire (Bienvenue­ à F.L.) à l’adolescence.

Pour son premier long métrage de fiction, elle s’est particulièrement intéressée aux petits drames du quotidien. «Pour le commun des mortels, ce qu’on vit est tout à fait anecdotique, alors que dans une position plus intérieure, quand on connaît le personnage, on sait qu’un mot ou un geste peut être dramatique», a-t-elle expliqué récemment en entrevue avec Métro.

Les personnages de Dérive, deux sœurs à l’école secondaire, elles, vivent un gros drame : le deuil de leur père. Celui-ci se répercute de différentes façons dans leur quotidien, notamment par de l’intimidation et des violences sexuelles.

Ici encore, par souci d’authenticité, la scénariste Chloé Cinq-Mars et le réalisateur David Uloth ont fait appel à de jeunes comédiennes débutantes pour incarner Marine (Maeva Tremblay) et Océane (Éléonore Loiselle­). «On voulait montrer la maladresse physique, le questionnement de cet âge», confiait la scénariste à Métro l’automne dernier.

Un âge universel
Qu’est-ce qui intéresse les cinéastes québécois dans le merveilleux (ou pas) monde de l’adolescence? Fruit du hasard, les créateurs interviewés pour ce reportage en étaient tous à leur première expérience de long métrage de fiction.

«C’est peut-être symptomatique d’une jeune génération de créateurs qui a envie de challenger les codes du cinéma, qui le fait par le biais de personnages plus jeunes», avance Renaud Lessard.

«C’est une époque par rapport à laquelle on a de la distance pour écrire nos premiers scénarios, mais qui est quand même proche de nous», observe pour sa part Éric K. Boulianne. Pour écrire Avant qu’on explose, le scénariste s’est plongé dans ses propres souvenirs d’adolescence­.

C’est l’idée du «rite de passage» qui a pour sa part intéressé Geneviève Dulude De-Celles. «C’est une période de changements assez majeurs. C’est un âge important: on quitte un peu le nid familial, on a à se définir.»

L’adolescence est par ailleurs «une période ultra chargée, à vif, où l’identité se cimente, qui est porteuse d’espoir», ajoute le coréalisateur de Mad Dog Labine.

Une opinion partagée par ses confrères du septième art. «C’est un âge duquel on tire des leçons une fois qu’on grandit, qui permet de faire des constats», avance Éric K. Boulianne.

Passage obligé et incontournable dans la vie de tous, l’adolescence a un caractère universel. Ainsi, comme spectateur, on peut facilement s’identifier aux personnages de cet âge, qui nous rappellent souvent­ la personne qu’on a été jadis. «Il y a vraiment quelque chose d’universel dans ce passage à l’âge adulte : l’entrée dans la puberté, la première relation amoureuse… Ces étapes sont fondamentales dans la construction d’une identité», explique­ Chloé Cinq-Mars.

«Je trouve ça touchant comme âge. C’est super naïf. Tu essaies du mieux que tu peux, des fois t’es tout croche, mais tu apprends, reprend le scénariste d’Avant qu’on explose. C’était beaucoup ça, notre film. J’éprouve une grande tendresse pour le personnage principal, parce que, oui, il est con, mais il tire des leçons de ce qu’il vit.»

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.