Soutenez

Deux pièces pour Étienne Pilon: être tout, partout

L'auteur Jean-Philippe Lehoux, le metteur en scène Charles Dauphinais et le comédien Étienne Pilon pour la pièce Deux pièces pour Étienne Pilon. Photo: Josie Desmarais/Métro

La sagesse populaire veut qu’on ne puisse pas être à deux places en même temps. Un proverbe que s’emploie à confirmer par l’absurde l’équipe de Deux pièces pour Étienne Pilon, création théâtrale présentée simultanément dans deux salles de la Licorne.

Après un burnout, Étienne Pilon, personnage incarné par l’acteur du même nom, croit avoir trouvé la meilleure façon de vivre sa vie: «devenir immortel avant de mourir», comme l’a dit sagement Loud.

Un tour de force post-moderne qui exige intensité et ubiquité pour parvenir à cocher tous les points de sa liste d’expériences à vivre, sa fameuse bucket list.

Vous l’aurez peut-être deviné, Deux pièces pour Étienne Pilon parle de la pression de performance omniprésente dans notre société. Une pression si présente qu’elle nous force à repousser sans cesse nos limites… par exemple en demandant à un acteur de jouer dans deux salles en même temps.

«On voulait d’abord parler de la performance qu’on demande de plus en plus aux acteurs, du fait qu’on doit devenir des couteaux suisses capables de jouer au théâtre, à la télévision, au cinéma, explique l’auteur Jean-Philippe Lehoux. Cette idée de polyvalence, qui est parfois un peu folle et anxiogène, se retrouve dans beaucoup de sphères de notre société. On a poussé l’absurde jusqu’au bout en présentant deux spectacles solos en même temps pour envoyer un pied de nez à notre besoin de performance.»

Dans la Grande Licorne, Étienne Pilon convie donc les spectateurs à une conférence de genre TED Talk pour parler de la démarche qu’il a créée autour de sa bucket list et de sa volonté de «réaliser tous les possibles à l’intérieur de son existence».

Dans l’autre salle, on ne sait pas trop… les créateurs du spectacle voulant préserver une part de surprise aux spectateurs, qui pourront choisir dans quelle salle (et donc sous quel angle) ils voudront voir la pièce.

Ça fait partie de la vie de rater des choses. Si l’expérience est riche, si la rencontre est riche, on s’en fout de ce qui se passe à côté. C’est notre pari. -Charles Dauphinais, metteur en scène de Deux pièces pour Étienne Pilon, à propos du FOMO (fear of missing out) qui anime le personnage principal, mais aussi certains spectateurs qui auront à choisir quelle version de la pièce ils iront voir.

«Comme le spectateur ne peut pas être à deux places en même temps, il est peut-être en train de manquer quelque chose de l’autre côté», laisse entendre le metteur en scène Charles Dauphinais.

«L’idée était un peu de construire ça comme des montagnes russes avec deux parcours, illustre Jean-Philippe Lehoux, qui offre ici sa troisième pièce en résidence à la Manufacture, après Napoléon voyage et Normal. C’est le même manège, mais avec deux tracks différentes. Les spectateurs vont vivre dans le même univers, mais avec des visions différentes.»

Deux visions, mais le même constat : le temps s’accélère et les exigences sociales sont de plus en plus nombreuses et pesantes.

«C’est une lutte intérieure omniprésente, estime Étienne Pilon, qu’on a notamment vu dans Feux et dans Mémoires vives. On se doit d’être présent sur les réseaux sociaux, d’être un bon parent, un bon travailleur, un bon ami et un bon amant. Est-ce qu’on n’échappe pas quelque chose à vouloir tout être et tout faire, à vouloir être partout?»

Toujours sur un ton tragicomique, la pièce s’attaque aussi gentiment à l’idéal de réinvention personnelle, qui accompagne souvent la crise de la quarantaine.

«Vivre plein de vies différentes à l’intérieur d’une seule vie, c’est peut-être la nouvelle immortalité, croit l’auteur Jean-Philippe Lehoux. On n’a plus beaucoup de transcendance ou de croyance en la vie après la mort. Mais à l’intérieur de notre vie, on va y aller à fond. Une vie sera remplie de mille autres vies. C’est ce renouvellement constant qui mène à l’épuisement.»

«La constance d’identité est riche et n’empêche pas de vivre plein d’expériences. On ne peut pas cracher là-dessus, poursuit le dramaturge. Pourquoi on n’a plus envie d’être nous-même à l’aube de la quarantaine? C’est un peu étrange alors que cette stabilité peut être belle dans la transmission de nos valeurs, dans l’éducation de nos enfants, etc.»

Deux pièces pour Étienne Pilon

À la Grande et à la Petite Licorne

Dès ce soir, jusqu’au 6 septembre

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.