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Un grand voyage vers la nuit: les dédales intérieurs

Un grand voyage vers la nuit prend l'affiche aujourd'hui. Photo: Collaboration spéciale

«Sait-on quand on rêve?» Certainement en regardant Un grand voyage vers la nuit, l’incroyable second long métrage de Bi Gan.

Le cinéma chinois semble vivre une nouvelle vague majestueuse, portée par de jeunes réalisateurs ultra doués.

Il y a eu les présentations successives en festivals l’année dernière de An Elephant Sitting Still, une colossale fresque réaliste de près de quatre heures de Hu Bo, décédé à l’âge de 29 ans. Puis celle d’Un grand voyage vers la nuit, une fascinante odyssée éthérée peuplée de fantômes du passé.

C’est d’ailleurs à travers les souvenirs réels ou fantasmés d’une femme aimée et jamais oubliée que part à la recherche notre héros en revenant à Kaili, la ville de son enfance. Une quête qui n’est pas sans rappeler celle d’Orphée pour secourir sa dulcinée des Enfers.

«Quand je crée, je suis romantique, admet en entrevue le cinéaste de 30 ans. Les créateurs sont tous des singes romantiques. Et l’art est comme des singes cherchant la lune dans l’eau – nous savons que la lune n’est pas accessible, mais nous arrivons à la toucher à de brefs moments.»

«Les petites villes chinoises se développent tellement rapidement que j’ai presque oublié à quoi ressemblait Kaili. Il n’y a que le produit final qui reste. Et je ne veux pas que ma ville natale soit seulement le résultat de reconstructions. Au lieu de ça, j’espère qu’elle pourra posséder sa propre ombre. Pour moi, les films sont les ombres des villes.» –Bi Gan, réalisateur de Un grand voyage vers la nuit

Cette fascination pour les sentiments perdus éparpillés au sein de réminiscences à la temporalité altérée évoque le travail de Wong Kar-wai, qui serait sublimé à celui d’Andreï Tarkovski dans sa façon de traiter de la condition humaine. La trame narrative qui s’apparente à un film noir classique a tôt fait de s’épaissir, d’explorer des recoins sombres et insoupçonnés.

«Je comprends que le spectateur puisse se sentir frustré, bouleversé et perdu par le récit, constate le metteur en scène de Kaili Blues. C’est une oeuvre qui mérite de la patience… Je crois cependant qu’il peut ressentir sa poésie. Peut-être qu’il ne va pas tout comprendre tout de suite, mais plus tard, sans nécessairement s’en rendre compte.»

Bercée par une photographie colorée inspirée des toiles de Chagall et des mélodies mélancoliques, l’histoire imprévisible propose à mi-chemin un inoubliable plan séquence métaphysique et dantesque de près d’une heure. Un véritable tour de force esthétique, surtout qu’il est présenté en trois dimensions. Cette technologie valant ici son pesant d’or.

«Quand je me rappelle quelque chose, je ferme les yeux et les souvenirs dans mon esprit ne sont ni plats, ni aussi réels que la réalité virtuelle, expose Bi Gan. Je pense que la mémoire est similaire à la 3D, les deux ayant un sens réaliste limité…. Je trouve ça très beau lorsque le public met les lunettes 3D avec le protagoniste du film, tombant dans ses rêves et sa mémoire.»

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