L’incandescence d’un espoir avec «Three Little Words»
Dominique Fils-Aimé clôt son triptyque musical avec Three Little Words, un disque d’une imposante sérénité. Dans un contexte de racisme systémique latent, l’artiste souhaite ainsi porter un message de bienveillance paré de jazz et de soul d’ici.
Enveloppant et réconfortant, Three Little Words nous emmène vers ce dont notre monde a besoin. Ces trois petits mots dont il est question sont I Love You. D’une simplicité évidente, et pourtant… «Bien que nous les ayons tous déjà prononcés, pensés ou ressentis, nous les avons un peu oubliés ou banalisés, parfois sous-estimés, dans toute leur puissance et leur valeur», confie Dominique Fils-Aimé.
L’amour – qu’elle considère par ailleurs comme le cinquième élément – en ce qu’il a d’unificateur est donc le sujet de ce grand album. «J’avais envie de créer quelque chose de lumineux, même s’il y a des moments moins joyeux», nous dit avec aplomb l’autrice-compositrice-interprète montréalaise. Alors qu’une vague de division s’abat sur le Québec, mais pas seulement, «et que tout le monde veut avoir raison», celle-ci souhaite «encourager les gens à être plus empathiques dans leur manière de communiquer et à avoir des conversations plutôt que des monologues où les uns et les autres se crient dessus».
Espérer malgré tout
Rappelons que Three Little Words succède à Nameless et Stay Tuned!, dans sa trilogie entamée en 2018 sur les racines de la musique afro-américaine. Et à la suite du regain du mouvement Black Lives Matter l’an passé, puis plus récemment l’affaire Camara, cet aboutissement créatif apparaît dans une atmosphère sociale visiblement tendue. Se laisser rattraper par l’amertume pour autant? Il en est hors de question pour Dominique Fils-Aimé, un brin optimiste.
«Bien que tout cela soit douloureux à vivre et à regarder, ces blessures ont toujours existé. Que les gens aient maintenant accès à cette violence, voient ces images, plus personne ne peut les nier. Une fois que l’on sait, on ne peut pas « désavoir ». Ça donne de l’espoir de constater que notre société s’informe, et que les témoins de ces injustices soient choqués parce que c’est une réaction humaine et normale.» Ce choc, il faut en faire un point de départ constructif et positif d’après la musicienne, qui pense que grands pas en avant ont été faits.
«Il y a une prise de conscience, un éveil qui s’est fait au niveau social. Nous avons de plus en plus d’alliés, et nous devons rester unis dans cette quête d’un monde plus égalitaire.» Dominique Fils-Aimé
Lorsqu’on lui demande si sa musique est militante, Dominique Fils-Aimé affirme que ce n’est pas son intention. «Mais j’ai une amie qui me rappelle souvent que tout est politique, qu’on le veuille ou non. Je n’ai pas l’impression de faire un art politisé, mais c’est sûr qu’il le sera par défaut», tempère-t-elle. «Si on parle de la société, on parle de politique aussi n’est-ce pas?», soulève celle qui évoque son oeuvre sous un prisme humain, encourageant les gens à laisser place à leurs émotions.
Three Little Words pour guérir
«On ne laisse pas beaucoup de place socialement à la colère, la dépression, par exemple», relate Dominique Fils-Aimé. «Il faut adresser ces tabous afin de préserver notre santé mentale et accorder de l’importance à notre guérison psychologique», ajoute-t-elle. Et c’est à cet instant que la magie de la musique opère. «Toutes les émotions sont les bienvenues et il y a des chansons pour tout. Nous devons nous donner le droit de les vivre et les accepter pour ce qu’elles sont».
De Being The Same à Home To Me, mais aussi du magistral Love Take Over au prometteur We Are Light, Three Little Words représente parfaitement la façon dont elle se sent libre dans son art pour parler de ce qui l’habite, des choses qu’elle trouve essentielles. «C’est une belle échappatoire. La musique m’a toujours fait énormément de bien, lors des périodes difficiles, ou plus gaies également.»
C’est donc avec l’envie d’apporter à son public la chaleur que la musique lui procure que Dominique Fils-Aimé a envisagé son album. «Avec toutes ces séquences qui nous traversent, j’ai la chance de pouvoir partager mon propre hommage et ma gratitude à la force des mélodies», explique-t-elle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette tentative est réussie tant Three Little Words sonne juste, en tous points.
Montréal enivrante
Avec son dernier né, Dominique Fils-Aimé continue d’être la porte-voix locale du jazz et de la soul, pour lesquels elle estime que l’intérêt pourrait être plus grand à Montréal. «Je me sens très chanceuse que ma musique soit publique, mais je sais que ce n’est que le début car la ville regorge de créativité. Partout où je regarde, il y a une quantité industrielle de talents au mètre carré», s’enthousiasme-t-elle. Et de poursuivre «c’est très inspirant de voir tous ces gens même s’ils ne sont pas vraiment reconnus dans les médias. Ça ne change en rien le fait qu’ils nourrissent toute la communauté artistique montréalaise.»
Comme source d’inspiration, de par leur manière d’être, leur passion, leur authenticité, elle songe notamment à Fredy V and the Foundation «qui a un cœur énorme et une musique merveilleuse».
Il y a aussi Elisapie, dont elle salue autant la transparence et la délicatesse de l’art et de la personne. «On a une envie commune de voir un changement qui unit les gens. Ça me fait du bien de rencontrer des artistes, comme elle, qui ont le même rêve que moi. Plus on est à rêver de la même chose, plus on avance dans cette direction.»
Un nouveau chapitre
Enfin, comment ne pas parler de la très intimiste reprise de Ben E. King, Stand By Me, dans Three Little Words? Il faut la lire sur deux niveaux, indique, confiante, Dominique Fils-Aimé: «ce n’est pas parce que la trilogie est terminée que moi j’ai fini de chanter! Je voulais aussi faire un clin d’œil pour encourager les gens à rester à nos côtés [dans la lutte].»
Écrit et enregistré en 2020, cet album lui a permis de se déconnecter de ce qui se passait et de vivre ses émotions dans un safe space. Alors qu’avant l’apparition de la COVID, faire des concerts était un défi pour l’artiste, elle a désormais hâte de retrouver les spectateurs. «Je ne pense qu’à ça!», s’exclame-t-elle.
En attendant, elle doit d’abord se remettre de cette trilogie, se concentrer sur la personne qu’elle est aujourd’hui. «Ces quatre ans ont si vite passé. Ça a été assez fatigant physiquement et mentalement. Je vais prendre le temps de rêver.» Quant à son avenir créatif, Dominique Fils-Aimé s’en délecte. «C’est la feuille blanche, et c’est beau!»