Une année radieuse pour les librairies indépendantes
Pendant plusieurs mois, les librairies indépendantes sont devenues l’un des rares refuges culturels auxquels le public avait accès. Plus que des commerces de détail, ces lieux ont fleuri en popularité et se sont révélés comme une artère importante de l’écosystème communautaire. Survol.
Le Renard Perché a ouvert ses portes le 18 mars dernier. Malgré le confinement, la nouvelle adresse de la rue Ontario a reçu un accueil très chaleureux. «On a reçu une grande vague d’amour du public», se rappelle Mélissa Boudreault, l’une des trois copropriétaires de l’entreprise. Et pour cause: la demande était bien présente. Dans les sondages distribués par la SDC de Hochelaga-Maisonneuve auprès des citoyens, l’idée d’une librairie figurait toujours en tête de liste des besoins.
«Notre but, c’est d’être à l’écoute des besoins du quartier. La librairie, c’est avant tout un lieu de rencontre, de discussion de proximité entre les artistes et les lecteurs», observe Mélissa Boudreault.
La force de l’établissement réside dans la littérature jeunesse, et cette orientation n’est pas le fruit du hasard. Depuis la flambée du marché immobilier, de nombreuses familles avec de jeunes enfants à la recherche de logements plus abordables sont venues s’installer dans Hochelaga-Maisonneuve.
«Nous formons un lien entre le travail, l’école et la maison, affirme Mélissa Boudreault. On sait que les gens ont des besoins et des problématiques familiales bien particulières. On développe des liens d’amitié avec notre clientèle et la connaissance du livre peut devenir très importante dans l’équation.»
Si Philippe Sarrasin est propriétaire de trois librairies dans l’arrondissement du Sud-Ouest, il se considère toujours comme un indépendant. En effet, chacun de ses établissements conserve une identité propre aux couleurs du quartier. Avec le temps, commis et clients deviennent des amis de longue date. Ces derniers considèrent leur rituel de bouquinage comme une habitude aussi naturelle que d’aller chercher le pain à la boulangerie du coin.
«Quand on achète dans une librairie locale, on investit dans le capital social de la communauté. Les librairies paient des taxes, s’impliquent dans la vie communautaire. Ce n’est pas que de la vente, c’est un lieu d’animation culturelle fort,» considère Jean-Benoît Dumais directeur général de la coopérative Les Libraires
L’explosion de l’achat en ligne
En pleine crise sanitaire, les librairies indépendantes font partie des commerces qui ont su tirer leur épingle du jeu. La lecture s’est avérée un refuge pendant la pandémie. «On pense vraiment que c’est l’autre piqûre que les gens ont reçue, et cela va demeurer au-delà de la reprise des activités», estime Jean-Benoît Dumais.
«Les gens ont retrouvé le goût de la lecture, observe Mélissa Boudreault, les besoins en livres ont gonflé, car c’était une belle manière de sortir la tête des écrans tout en demeurant dans le confort de chez soi». Le besoin collectif de douceur et d’évasion s’est d’ailleurs reflété dans les propositions du Renard Perché.
Sur la plateforme en ligne Les Libraires, l’inquiétude a rapidement fait place à l’excitation lorsque les ventes en ligne ont explosé. La pandémie a suscité une vague d’adhésion et une visibilité soudaine. «On parle d’une augmentation de 700 % de commandes postales durant l’année dernière». Au total, les ventes au détail ont augmenté de 18,3 % en 2020, une statistique «réjouissante». Dans la foulée d’initiatives d’achat local comme le panier bleu, la littérature québécoise a aussi connu une augmentation de transactions allant de 4 à 5 %.
«Les gens viennent pour socialiser et découvrir. Les gens viennent papoter de littérature, de tout et de rien, et tu ne trouves rien de tout cela en magasinant sur Amazon.»
Philippe Sarrasin, propriétaire de libraires
À défaut d’avoir un entrepôt, les commerces du livre ont dû apprivoiser en un temps record le grand volume de commandes. Ils ont pu bénéficier d’une aide fédérale de 32,1 millions $ afin d’accroître leurs ventes en ligne.
Ces années d’abondance succèdent à une époque sombre. «Depuis 2014, on assiste à des reprises familiales et une valorisation du métier de libraire», explique Jean-Benoît Dumais.
Si l’avènement du livre numérique était sur toutes les lèvres il y a quelques années, la fin du papier ne semble plus être une éventualité aussi proche pour les commerçants. «On entre dans un nouveau cycle. Les librairies vont bien. Malgré Amazon, malgré la COVID-19, on s’en sort bien. Le papier est là pour rester», conclut Philippe Sarrasin.
Et cet engouement risque de se poursuivre. «Cette nouvelle habitude ne va pas nécessairement se perdre. Maintenant, la lecture fait partie intégrante de l’éducation des enfants au même titre qu’une bonne alimentation», compare Mélissa Boudreault.
Selon Philippe Sarrasin, l’appui des bibliothèques, des hôpitaux et d’autres organismes qui font partie de la sphère communautaire feront la différence pour assurer l’avenir des des librairies indépendantes.