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Jonas Mekas: une vie à filmer

Photo: Yves Provencher/Métro

Il a connu le quotidien sur une ferme en Lituanie, la guerre, les camps de travail forcé. Puis il a connu La Factory, Andy, John et Yoko, les Kennedy. Pendant une grande partie de son existence immense, le réalisateur Jonas Mekas a filmé, filmé, filmé. Une nécessité.

À 90 ans, Jonas Mekas cumule les souvenirs. Lorsque nous le rencontrons à Montréal, où il se trouve pour recevoir sa Louve d’honneur décernée par le Festival du nouveau cinéma (FNC), le réalisateur d’origine lituanienne parle avec générosité de son œuvre et de sa vie. Une vie faite de déracinement d’enfance et d’instants aussi douloureux que d’autres ont été extraordinaires.

Cette semaine, deux de ses récents films, soit As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty (2000) et Sleepless Nights Stories (2011) seront projetés chez nous. Dans Sleepless Nights…, Mekas présente une série de vignettes, «créées par une nuit d’insomnie». Dans ces vignettes, on assiste aux débats autour d’une table avec plusieurs de ses amis, on danse avec Yoko Ono, on écoute l’histoire de cœur brisé de Marina Abramović, on croise Harmony Korine et sa douce alors qu’ils attendent un enfant… Une série de moments captés sur le vif. «De toute façon, dit Jonas Mekas, c’est la seule chose qu’une caméra peut faire. Rien de plus. La caméra peut seulement capter l’instant.»

Dans Sleepless Nights, vous vous entourez d’amis de tous les milieux et de toutes les générations…
Vous savez, quand on arrive à mon âge, on fait le point. On regarde vers l’arrière et on voit l’histoire de notre vie se dérouler!

Vous abordez beaucoup, dans ce film, la question de ce qu’est un artiste, de sa mission. Vous parlez de Cézanne, de Van Gogh, d’Amy Winehouse… Vous, Monsieur Mekas, à quel moment avez-vous senti cet appel pour devenir artiste?
Oh moi, je ne me considère pas comme un artiste. Je fais des choses, je construis des choses, je filme, je fais des films, j’écris. Le terme «artiste», pour moi, est vague. Je ne sais plus ce qu’il signifie vraiment. Surtout de nos jours où pratiquement tout le monde se dit artiste.

Vous êtes arrivé à New York en 1949, et l’histoire dit qu’une des premières choses que vous avez achetées, c’est une caméra.
Environ deux semaines après mon arrivée, oui. Quand j’ai mis le pied à Manhattan.

Vous vous êtes alors mis à filmer. Diriez-vous que cette caméra, c’était le meilleur investissement de votre vie?
Oh! Non! J’ai fait beaucoup mieux en matière d’investissement! (Rires)

Dans Sleepless Nights, votre ami l’auteur Lee Stringer raconte l’histoire de sa désintoxication. Il souligne que «dans la vie, il n’y a pas de coïncidence. Tout arrive pour une raison.» Le croyez-vous aussi?
Peut-être… La vie est complexe. Étrange. Je suis né dans un petit village fermier de Lituanie. Voyez la scène : j’étais un petit garçon, couché dans les champs, qui passait son temps à regarder les vaches et les moutons… Sautez à la scène suivante et vous verrez les chars soviétiques, les Allemands, le camp de travail forcé auquel j’ai été confiné. Avancez le film encore plus loin et me voilà rendu à New York avec John Lennon, Jackie Kennedy, Salvador Dalí… Comment fait-on pour passer d’un point à l’autre? Je crois qu’il n’y a pas de plan tracé d’avance. Que la vie est faite de coïncidences. Reste que tout ça doit quand même être lié d’une façon ou d’une autre, non? Tous ces gens qui croisent notre chemin, tous ces événements… C’est extraordinaire. Fascinant!

Vous-même, vous avez connu New York à une époque historique absolument fascinante…
Oui! J’ai été «catapulté» là au bon moment! C’était l’époque du jazz, de la Beat Generation, on cheminait vers les années 1960. Je suis arrivé à la fin de l’époque classique avec Balanchine, Martha Graham… Puis les happenings ont commencé à prendre place, il y a eu De Kooning, le milieu artistique était en ébullition, New York était devenue la ville où il fallait être. C’était magnifique. J’ai vu le meilleur du vieux, et assisté à la naissance du nouveau.

Dans ce temps foisonnant, vous avez entre autres travaillé avec Andy Warhol sur son célèbre film Empire…
On a fait beaucoup de choses ensemble, Andy et moi, parce que j’avais une cinémathèque. Comme il était très productif, aussitôt qu’il terminait un film, il pouvait le projeter chez moi! C’est mon loft qui a été sa première école de cinéma. Il y a rencontré plein de monde, a été excité par ces rencontres. Assez pour avoir envie de tourner ses propres films.

Vous avez souvent été qualifié de «parrain du cinéma d’avant-garde». Vous aimez ce titre ou pas vraiment?
Non! C’est une comparaison stupide inventée par une personne stupide! Le cinéma d’avant-garde n’est pas né avec moi! Il est né en France et en Allemagne dans les années 1920. J’ai été l’élève de ces cinéastes qui sont passés avant moi, leur enfant, leur produit. Certainement pas leur parrain!

Dans les années 1950, vous avez lancé le magazine Film Culture et créé une chronique de cinéma dans le Village Voice. Quel regard portez-vous sur la critique de nos jours?
Elle s’est désintégrée et se résume à de la description. De la description sans perspective! Moi, j’écrivais uniquement sur les films dont j’étais fou! Maintenant, les journalistes ne font que raconter l’histoire, sans passion aucune. En lisant leurs textes, on se dit que les films ont l’air intéressants, ça oui, mais en réalité ce sont souvent d’horribles navets. En ce qui me concerne, il n’y a plus de véritable critique de cinéma.

***
Jonas Mekas en trois temps

Deux films de Jonas Mekas, qui vient de recevoir la Louve d’honneur au Festival du nouveau cinéma, seront projetés cette semaine. Une expo qui lui est consacrée bat aussi son plein.

  • As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty (2000) est présenté aujourd’hui à 14 h 45 au Pavillon Judith-Jasmin.
  • Sleepless Nights Stories (2011) sera projeté le samedi 19 octobre à 16 h au Centre Phi. Entrée libre.
  • L’exposition Jonas Mekas : Éloge de l’ordinaire se tient jusqu’au 26 octobre au Centre Phi. Entrée libre.

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