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True Story: la vérité en face

Photo: Fox Searchlight Pictures

Dans True Story, le metteur en scène britannique Rupert Goold propose un face à face entre Jonah Hill et James Franco. Devant sa caméra, les copains-dans-la-vie se retrouvent en complet contre-emploi. Hill, frisé acteur qu’on a vu aux côtés de Leo DiCaprio dans The Wolf of Wall Street, habitué aux comédies de la trempe de Superbad, sort ici de son carcan et de son attitré «second rôle» pour porter le film sur ses épaules et incarner un journaliste déchu. L’insaisissable Franco se glisse quant à lui dans l’habit orange d’un criminel manipulateur. Entretien avec le réalisateur british au sujet de ce premier film, marqué du sceau «inspiré d’une histoire vraie».

Directeur artistique du Almeida Theatre à Londres, Rupert Goold est un homme de scène. Il a revisité des classiques shakespeariens, dirigé Patrick «Star Strek» Stewart dans le téléfilm de la BBC Macbeth et donné vie au «thriller musical» (oui) American Psycho, pièce adaptée du cultissime roman de Bret Easton Ellis.

Pour son premier film en tant que réalisateur et scénariste, Goold s’est attaqué au livre True Story. L’histoire – «vraie», comme son titre l’indique – du journaliste Michael Finkel, renvoyé du New York Times en 2002. Un type promis à un brillant avenir («Pulitzer, Mike, Pulitzer», lui chuchotaient ses collègues), qui a vu ses ambitions partir en fumée le jour où il s’est emporté un peu trop dans un reportage, faussant les faits, amplifiant les émotions. Pris la main dans le sac, Finkle s’est retrouvé sans emploi, à errer, sans trop savoir quoi faire de sa peau, pendant que son amoureuse tentait en vain de le convaincre que du repos lui ferait du bien.

Son histoire prend néanmoins une autre tournure lorsqu’il apprend qu’un fugitif, recherché pour le meurtre de sa famille et coincé par le FBI, utilise son identité. «Quoi? Moi? Mon nom? À MOI?» Touché dans sa vanité, le reporter réprouvé ira à la rencontre du détenu («sa némésis», remarque Goold) développant une relation étrange, faite d’admiration et de répulsion. Car l’accusé, qui rêve secrètement d’être écrivain, promet à Finkle de lui raconter «la vraie version des faits» si ce dernier lui apprend en échange quelques trucs littéraires stylistiques. Question de style d’ailleurs, le long métrage que signe Rupert Goold se révèle atmosphérique, léché, baigné de bleu et de gris. «J’ai peut-être apporté ma sensibilité britannique à l’ensemble!» note-t-il.

Réalisateur
Le réalisateur Rupert Goold, Jonah Hill, dans le rôle de l’ex-journaliste Michael Finkle et James Franco dans celui du détenu Christian Longo (qui se faisait passer pour Finkle avant de se faire pincer). / Twentieth Century Fox Film Corporation

En voyant cet «ensemble» et l’histoire de reportage mensonger qu’il relate, on se souvient de deux autres scandales qui ont éclaboussé le New York Times: celui de Judith Miller, qui a signé de controversés articles sur les armes de destruction massive, jugés par la suite erronés et celui de Jayson Blair, accusé d’avoir inventé des histoires de toutes pièces, en restant cloîtré chez lui. Reste que le nom de l’institution porte une aura d’excellence, et quand on sort de l’arrêt de bus à Port Authority, et qu’on tombe devant le bâtiment, il y a ce sentiment de grandeur qui nous envahit. «Je pense qu’il existe une idée héroïque du journalisme, remarque Rupert Goold. Particulièrement au New York Times. L’investigation, les primeurs, la vigilance, le professionnalisme…»

… Justement, avec ce film, souhaitiez-vous rendre hommage à cette profession en grande mutation – certains diraient en crise – et aux obligations et responsabilités qui viennent avec le fait d’être journaliste?
Eh bien, en Angleterre, il est vrai que le journalisme a traversé des temps très difficiles. Non seulement l’industrie a souffert des mêmes problèmes qui ont touché à l’échelle planétaire les médias traditionnels, mais il y a aussi eu [en 2012] la commission Leveson qui s’est penchée sur les problèmes d’éthique et de bris de vie privée. Donc, le sujet m’intéressait… mais je ne dirais pas que c’était le point de départ. Le film porte un regard critique sur les médias; mais ce n’est pas une satire.

«J’ai voulu faire un film noir. Un peu à l’ancienne. Avec un couple. Dont la relation est chamboulée par l’arrivée d’une femme fatale. Classique! Le seul truc, c’est que dans cette histoire, la femme fatale est incarnée par James Franco.» – Rupert Goold

C’est principalement une histoire sur la vérité, les mensonges et le fait de savoir les décoder. Des choses que le titre suggère… avec une touche d’ironie. D’ailleurs, que signifient pour vous les mots True Story? Quand quelqu’un dit: «inspiré d’une histoire vraie», avez-vous tendance à le croire ou êtes-vous plutôt du genre sceptique?
Eh bien, je suis très intéressé par toutes les zones grises et floues que comporte cette idée d’«histoire vraie». Le film célèbre la nature élastique de ces concepts (la vérité et les mensonges, le bien et le mal) et le fait que le relativisme moral est dangereux.

Cette histoire parle aussi du besoin de reconnaissance. Du désir d’être lu, entendu. De la peur d’être «quelconque», «trop normal». En tant qu’artiste, vous êtes-vous reconnu dans ce besoin?
Malheureusement, oui! (Rires) Le truc avec ces deux hommes, c’est qu’ils sont chacun le meilleur lecteur pour l’autre. Christian Longo, le détenu, adore l’écriture journalistique de Mike Finkle. Et Finkle est fasciné par la façon de s’exprimer de Longo. Non seulement je me reconnaissais dans leur besoin d’avoir un public, mais aussi dans leur besoin d’avoir un public PARFAIT. Je comprends cette nécessité de s’adresser à quelqu’un qui comprend notre œuvre. Je connais la vanité et le danger de ce besoin! (Rires)

Ce public parfait, vous l’avez trouvé?
Avec un peu d’espoir, tout le monde sera mon public parfait! (Rires) Non mais, c’est fou de nos jours. Quand on monte une pièce par exemple, ce sont des milliers de personnes qui commentent notre travail! Il faut être fait fort! Cela dit, parfois, on a la chance de lire des choses vraiment merveilleuses sur son art, et pas seulement parce qu’elles sont positives.

Vous mettez l’accent sur le non verbal plus que sur le texte. Pendant le témoignage en cour de l’accusé, vous vous concentrez sur ses mains, ses yeux, son dos… Des choses qui en disent tellement plus que les mots.
Oui… mais qui constituent aussi le plus grand obstacle quand vient le temps de convaincre des producteurs de mettre de l’argent dans son scénario! Ils nous demandent tout le temps: «Pourquoi le personnage fait-il ça? Et ça? C’est trop flou.» En tant que réalisateur, on doit sans cesser répéter: «Le dire, c’est la PIRE façon de le communiquer! Il doit y avoir du sous-texte!» Seulement en levant les yeux au ciel, on raconte autant de choses qu’en cinq répliques! C’est une incessante négociation. Je crois que c’est très européen – particulièrement britannique! – de privilégier ce qu’on ne dit PAS. Et ce qu’on se retient de dire. Je pense que c’était ma contribution à ce film!

Vous avez également travaillé avec minutie le montage sonore, mettant l’accent sur le bruit du stylo qui écrit, celui de l’eau… Pour donner une touche de thriller à l’histoire?
En fait, la première fois que j’ai pris connaissance de ce récit, j’ai été très attiré par le sujet, et par les personnages. Mais j’étais inquiet que le rendu, sur grand écran, soit vieillot. Après tout, il y avait plein de scènes avec deux hommes assis dans une pièce. Comment rendre ça visuellement intéressant? Je ne pouvais pas en faire une pièce de théâtre. Ou un documentaire. Je voulais que le film soit perturbant. Mais pas dans un style horrifique «Oh mon Dieu! Il a une hache!» (Rires) Il fallait donc utiliser tous les outils. Le son. La lumière. Le cadrage.
Tout.

True Story
En salle vendredi

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