Dérapages poétiques: poètes des temps modernes
Sur la page Facebook Dérapages poétiques, trois poètes désirant garder l’anonymat s’inspirent des déclarations embarrassantes de personnalités publiques pour en faire des œuvres d’art.
À quelqu’un qui ne connaît pas votre page, comment la décririez-vous?
Notre but, avec cette page, n’est pas vraiment de nous faire de nouveaux amis. S’il fallait résumer, on pourrait dire que Dérapages reprend les discours idiots pour essayer de leur redonner une sorte de grandeur à travers la forme poétique.
Comment avez-vous eu l’idée de versifier les dérapages linguistiques de certaines personnalités publiques?
C’est venu comme une réponse à l’indignation galopante dans les réseaux sociaux, une indignation qui explosait rapidement sans laisser de traces. Nous avons voulu attirer l’attention sur ce qui avait véritablement été dit, et la forme poétique, par son insistance sur le mot, était tout indiquée.
À quoi ça sert?
À rien. Comme tout le monde.
Comment choisissez-vous les phrases à mettre en lumière?
Nous ne les choisissons pas, elles s’imposent. Mais disons que nous avons quelques critères. D’une part, un dérapage n’est pas qu’une connerie dite, un dérapage est une connerie «intentionnée». Il ne peut y avoir de dérapage sans pouvoir. D’autre part, le dérapage parfait n’est pas une réaction bête d’indignation, il cherche à enserrer le vide autour d’une déclaration et à en déplier, si possible, la force poétique.
Suivez-vous des règles de versification précises?
La versification est un art d’un autre temps. Notre approche est celle de la phrase, du mot. Et il ne serait pas possible de retourner contre elles-mêmes des déclarations à l’aide d’une forme figée.
Est-ce que c’est pas un peu chien pour la poésie, ce que vous faites?
Il n’y a pas d’autre moyen raisonnable d’aimer la poésie que d’être «chien» envers la poésie.
Vous êtes-vous donné des limites à ne pas franchir, un code de déontologie, des règles d’éthique?
Au début, non. Mais le succès de la page a fait que nous avons rapidement dû poser des limites. La première a été celle des chroniqueurs un peu trop faciles à reprendre, et dont le métier est essentiellement de déraper pour susciter des réactions. Nous avons voulu éviter d’entrer dans le jeu des réactions. La deuxième a été celle du pouvoir d’humiliation des dérapages. Avec près de 9000 abonnés, humilier le pauvre type qui dit une connerie n’est pas très brave. L’internet s’en charge, et ce n’est pas très glorieux. Le pouvoir est la mesure étalon: est-ce que le dérapage est dit en situation de pouvoir?
Qu’est-ce qui fait le succès ou la qualité d’un bon dérapage poétique?
Comme dans toute grande œuvre: un mélange de grandeur et de fragilité. Dans le cas de Dérapages, parlons de grandiloquence et de fragilité.
Quand pourra-t-on se procurer le premier recueil officiel de Dérapages poétiques?
Officiel? Nous vous invitons à les voler et à les imprimer vous-mêmes. Nous sommes tous Dérapages poétiques.