«Toutes les fxmmes»: ode à la solidarité en musique
Face à l’iniquité persistante entre les hommes et les femmes au sein de l’industrie musicale au Québec, l’autrice-compositrice-interprète Georgette a réuni des musiciennes pour en discuter. Le fruit de leurs échanges se trouve dans le court documentaire d’une vingtaine de minutes Toutes les fxmmes, dont l’esthétique rétro est à l’image du style yéyé de Georgette.
C’est dans cette chanson éponyme tirée du mini-album Bouclier de Georgette que le documentaire puise sa source, confie l’artiste de 34 ans en entrevue avec Métro. Elle enregistrait ce EP lorsque la vague de dénonciations a déferlé sur les réseaux sociaux à l’été 2020.
Sa pièce, qui portait sur une relation toxique vécue dans sa vingtaine, « a alors pris un tout autre sens », relate-t-elle. « Je sentais que je portais un poids plus grand que moi sur mes épaules. C’était lourd et réconfortant en même temps. Je réalisais que je n’étais pas seule là-dedans. »
Ce sentiment d’appartenance s’est fortifié lors d’un atelier d’écriture destiné aux femmes, durant lequel les participantes ont jasé des inégalités subsistant au sein de l’industrie musicale.
« On s’est rendu compte que ça ne nous a pas arrêtées : au contraire, ça a mis du gaz dans nos tanks, ça nous a propulsées vers l’avant. On s’est vraiment serré les coudes », dit celle qui embrasse son féminisme.
« Le mot “féminisme” est synonyme pour moi d’amour, indique Georgette. Le féminisme cherche l’égalité pour tout le monde, c’est juste ça! Les gens ont tellement démonisé le féminisme au fil des années que beaucoup de femmes ont peur de s’afficher comme féministes. C’est encore mal vu ou mal compris, comme si on était toutes des femmes qui brûlent leurs brassières et détestent les hommes. Mais ce n’est tellement pas ça! »
Tête-à-tête entre musiciennes
Ces conversations, il lui a semblé « important » de les faire partager. D’où le documentaire Toutes les fxmmes, réalisé par Sophia Belahmer.
Dans une salle de quilles, Georgette s’entretient en tête-à-tête avec Virginie B, Tamara Weber, Soraï et Moissonneuse-Batteuse, qui se prononcent avec sincérité sur leurs réalités et l’avenir des femmes dans leur milieu.
Les images du documentaire, au petit côté vintage granuleux, sont divisées en cases permettant de voir les réactions des interlocutrices, une facture visuelle qui renforce, à notre avis, l’aspect intimiste des échanges.
Leurs conversations sont entrecoupées de quelques prestations, dont l’une de Toutes les fxmmes de Georgette, dans une version remaniée destinée au documentaire.
De féminisme et de solidarité
Malgré les iniquités à dénoncer dans l’industrie — et « il y en a tellement », affirme Georgette —, l’artiste préfère se concentrer sur les actions porteuses.
« C’est facile de relever toutes les programmations de festivals québécois qui n’ont aucune diversité de genre, sexuelle ou ethnique. C’est facile de dire : “c’est donc bien difficile pour les femmes”, mais je préfère me tourner vers la communauté et nous demander ce qu’on peut faire ensemble. »
La solidarité entre artistes s’avère justement au cœur du documentaire.
« Pour moi, la solidarité, c’est tout, déclare Georgette. C’est l’amour, c’est la communauté — c’est ça, la musique. »
« Les femmes, on commence à se tenir ensemble », dit dans le documentaire la bassiste Soraï, de son vrai nom Jeanne Gagné.
« Il y a des gangs de gars qui font ça depuis des années, qui se soutiennent et qui se bookent mutuellement dans des festivals. On commence à crier haut et fort : pourquoi il n’y a pas plus de femmes dans les programmations? Pourquoi je suis payée moins pour un show similaire? », poursuit la moitié du tandem électro-pop MoKa.
Sa complice Marie-Anne Tessier, alias Moissonneuse-Batteuse, renchérit : « Il faut se soutenir et agir. »
Agir en continuant à mettre en branle des projets comme le présent documentaire, estime Virginie B, qui souhaite que la responsabilité de revoir le statut des femmes en musique incombe à tout le monde, pas qu’aux principales concernées — et cela, elle le revendique fermement.
Mettre sur pied des ateliers
Georgette se réjouit de se faire questionner sur de possibles solutions, elle qui a justement mis sur pied des camps d’écriture chez elle, dans son vieux duplex du Centre-du-Québec, afin de contrer le manque de parité qu’elle observait dans les nombreux ateliers auxquels elle a pris part.
Le faible pourcentage de femmes et de personnes non binaires y participant ne représente pas du tout l’industrie telle que la connaît Georgette, dit-elle.
Elle a donc sondé l’intérêt de ses abonné.e.s Instagram à l’égard d’un éventuel camp d’écriture destiné aux femmes et personnes non binaires. Son idée a suscité un tel engouement qu’un camp regroupant cinq artistes est déjà prévu tous les deux mois jusqu’en 2024. Et toutes les demandes n’ont pas encore été comblées.
Certaines des chansons créées durant les premiers camps se retrouveront même sur les prochains albums des artistes qui ont participé.
« Je veux que l’industrie québécoise ressemble à ça. Alors je crée les occasions que je veux moi-même avoir. Si je ne le fais pas, qui va le faire? J’ai l’espace, j’ai les ressources et l’énergie pour le faire », conclut-elle avec vigueur.
Projection et levée de fonds ce soir
Le documentaire Toutes les fxmmes sera projeté ce soir au Carrefour jeunesse-emploi Montréal centre-ville dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes. S’ensuivra une conversation sur les femmes et les personnes non binaires en musique. L’événement, qui a pour DJ invitée Virginie B, vise à recueillir des fonds, versés au refuge pour femmes Chez Doris et au Tout petit festival de salon, qui promeut les artistes féminisées et non binaires en musique.
Précision sémantique
À la suite de notre entrevue avec Georgette, il apparaît évident que le terme « fxmme » est employé ici en toute bonne foi, dans une volonté d’inclusion. En effet, l’appellation « fxmme » ne fait pas l’unanimité chez les communautés féministes, comme elle créerait une catégorie distincte pour inclure les femmes trans, alors que les personnes s’identifiant au genre féminin sont considérées comme des femmes à part entière.